La musique instrumentale est toujours une tentative d'imitation de la voix humaine, la musique traditionnelle particulièrement. Le jeu en musique irlandaise reflète la phonétique du gaélique irlandais et la prononciation particulière de l'anglais. Là où un Ecossais marquera fortement les "t", un Irlandais les prononcera quasiment "ch"; là où un Ecossais prononcera les "r" à la française (grasseyé) ou à la russe (fortement roulé), un Irlandais les avalera encore plus qu'un Anglais.
Parallèlement, sur les mêmes instruments, et souvent sur les mêmes airs, un Ecossais fera un usage abondant des appoggiatures, mordents, et autres ornementations plus complexes, là où un Irlandais préfèrera un usage au moins aussi abondant des glissandos.
Sur cette base, on distingue (ou plutôt on distinguait) deux types de jeu de la cornemuse irlandaise:
Un jeu ouvert, plutôt pratiqué par les gens du voyage, et dont Paddy Keenan par exemple est un héritier direct. C'est un jeu lié, rapide, peu ornementé, mais caractérisé par une variabilité très grande (on ne joue jamais réellement deux fois le même air). Le doigté est souvent ouvert (plus de deux doigts levés, chalumeau décollé de la cuisse).
Un jeu fermé, dont Brian MacNamara par exemple est un exemple moderne. C'est un jeu très staccato, à un tempo modéré, abondamment ornementé (pratiquement tous les temps forts le sont, et souvent un bon nombre d'autres notes), la variabilité porte plutôt sur le choix des ornements que sur la mélodie elle-même. Le respect du doigté fermé est très strict.
Aujourd'hui pratiquement tous les sonneurs, même ceux qui se réclament d'une des deux écoles, ont un jeu plus ou moins hybride: l'apprentissage ne se fait plus par absorption de la pratique d'un ou de quelques sonneurs locaux, assurant la pérennité d'idiosyncrasies, mais fait intervenir, en plus de cours formels, l'écoute d'un grand nombre d'enregistrements de qualité et de tous styles, et la participation à des stages où l'on est confronté à la pratique de nombreux sonneurs de tous niveaux..
La pratique de la cornemuse irlandaise comprend l'utilisation d'un certain nombre d'ornementations spécifiques, qui ont été reprises par d'autres instruments, et l'utilisation d'ornementations plus classiques sur lesquels je ne m'étendrai pas.
AppoggiatureUn grand classique en musique. De façon basique on ornemente les notes de la main droite par le LA, les notes de la main gauche par le RE arrière. C'est un bon truc pour cacher les bruits de passage: quand on n'arrive pas à faire "taaaa" on fait "tiaaa" plutôt que "breuaa". Plus musicalement, on utilise la note immédiatement au dessus de la note cible, ou une autre note qui colle bien. La longueur de la note d'ornementation peut aller de très court à la moitié de la note à ornementer. |
MordentEncore un grand classique de la musique. |
FrissonTechniquement c'est un trille . On l'utilise sur le MI et le FA en frissonnant de l'épaule droite, ce qui découvre le trou du SOL à une fréquence élevée. |
VibratoOn l'obtient en battant un ou plusieurs doigts en dessous de la note à ornementer en fonction de l'effet qu'on veut obtenir. Pour le RE arrière on ouvre le trou du DO et on bat avec le doigt du FA. |
GlisséExtrèmement usité en musique irlandaise, particulièrement sur les notes qui nécessitent d'ouvrir deux trous, comme le MI et le SI mais aussi le DO naturel. Il peut être combiné avec une autre ornementation. On l'obtient en ouvrant progressivement les trous par un mouvement glissé(!) des doigts. |
RE fantômeC'est un glissé particulier, en descendant du RE dièse au RE. On l'obtient en soulevant seulement le petit doigt puis en ouvrant progressivement le trou du RE tout en reposant le petit doigt. |
RÉ durC'est une décoration réservée au RE inférieur. On l'obtient en amenant le RE par un LA tout en augmentant la pression de la poche. Le résultat est un timbre particulier, plus dur, et un volume plus important. |
CranC'est LA spécialité de la musique irlandaise, particulièrement celle de cornemuse. Il est surtout utilisé sur le RE inférieur, mais aussi assez souvent sur le MI inférieur . On peut l'utiliser pour ornementer une noire ou une noire pointée, l'effet peut être placé en début en milieu ou en fin de note, La croche de démarrage peut être jouée staccato ou legato . Les notes d'ornementation sont classiquement SOL FA SOL, mais on peut aussi faire SOL FA MI. |
TremblementC'est une des rares décorations rythmiques possibles pour le RE arrière. Elle consiste à découper le RE suivant un rythme adapté à l'air joué. La grosse difficulté est d'arriver à découper de façon régulière en partageant également entre les silences et les notes. |
TapéIl consiste à découper une note longue en croches staccato. On peut bien sûr l'associer à une autre ornementation. |
StaccatoC'est un classique de la musique. Du fait qu'on peut fermer le chalumeau pour maîtriser parfaitement la durée des silences, la cornemuse irlandaise est une des rares cornemuses à pouvoir produire des vrais staccatos. C'est même devenu la base de la technique de jeu dans le nord de l'Irlande. On peut jouer staccato n'importe quelle note entre le MI inférieur et le SOL supérieur, mais l'usage est de n'appeler staccato que les triolets staccatos comme par exemple les suivants: FA SO LA, SI DO RE, LA DO LA. En général ce sont des séquences de passage d'une note basse à une note haute, ou inversement, des broderies autour d'une note, ou une élaboration d'une appoggiature. |
RoulementC'est une ornementation extrêmement utilisée: on ne se trompe pratiquement pas si on dit que toutes les notes plus longues qu'une croche sont découpées en croches par un roulement. Pour une noire pointée le principe est de couper après la première croche par la note immédiatement au dessus et après la seconde croche par une note plus basse ou en fermant le chalumeau. Pour une noire, on démarre à la note immédiatement au dessus. Comme pour les appoggiatures on voit beaucoup de gens couper avec le pouce pour la main gauche, avec le LA pour la main droite. La deuxième coupure peut se faire en soulevant le chalumeau de la cuisse en même temps qu'on ouvre la note de coupure. La première croche peut être staccato. Le découpage n'est pas régulier mais suit le rythme sous-jacent, par exemple long court long(avec ici un glissé sur la première croche), ou court long court. |
PopEgalement nommé aboiement. On l'obtient en effectuant très rapidement la séquence suivante:
En dehors de l'effet qu'il donne, on peut aussi l'utiliser quand on a du mal à atteindre l'octave à cause d'un intervalle trop important. On peut aussi l'utiliser avec une appoggiature qui se place alors entre le 2 et le 3 ou à la place du 3. On peut aussi ne reposer le chalumeau qu'à la fin de la note. |
OrnementCet ornement pour lequel je ne connais pas d'autre nom est très utilisé en musique bretonne, et anecdotiquement en musique irlandaise. |
"Point arrière" (backstitching)
Le point arrière est un ornement qui était beaucoup utilisé dans le style de jeu Américain (Tuohey, Carney et autres) et qui a à peu près disparu bien qu'il ait été utilisé (peu) par Seamus Ennis et Tommy Reck. Il est décrit et analysé dans "The Piping of Patsy Tuohey" de Pat Mitchell et Jackie Small, et beaucoup de sonneurs l'ont trouvé à cet endroit. Basiquement, c'est un triolet staccato dans une octave joué entre deux notes mélodiques dans l'autre octave. Il y a deux types de base, l'un basé sur le triolet sol fa mi (octave haute), l'autre sur le triolet do la sol (octave basse). ou do si la, si vous préférez -le choix des notes n'est pas critique- le truc est d'obtenir que le chanter soit dans la bonne octave. Un exemple qui vient à l'esprit est la seconde partie de Cherish the Ladies, qui est normalement: mais on peut y insérer un peu de point arrière pour varier: C'est peu être un peu trop: le point arrière est une décoration flamboyante qui est facilement suremployée. (adapté d'après un message de 1997 de John Walsh dans la liste de diffusion Uilleann - les erreurs sont de moi) |
Exemple sur un LAA partir d'une mélodie qui comporte un LA en noire pointée, on peut bien sûr remplacer cette noire pointée par un roulement, mais aussi par une broderie, par un staccato LA DO LA suivi d'un LA, par un staccato LA SI DO suivi d'un LA, etc. Le jeu consiste à faire oublier qu'on rejoue à chaque fois la même chose. |
Exemple sur FA MI REDe même sur une descente FA MI RE, on peut décorer le FA par une appoggiature, qui va évoluer en une note à par entière dans un staccato SOL FA MI devant le RE. |
Exemple d'ornementation originaleIl n'est pas interdit d'innover. Au cours d'un stage au Festival Interceltique de Lorient, Brian MacNamara a montré à quelques uns de ses élèves une ornementation sur le SOL, qui tient à la fois du cran et du roll. Il le plaçait dans un hornpipe avec le temps long sur la croche du milieu. Le schéma ci contre et le fichier son donnent une vague idée de ce à quoi ça pourrait ressembler (je n'ai pas la prétention d'égaler Brian avant au moins une centaine d'année d'efforts). |