traduit à partir de http://www.kent-hovind.com/baloney.htm) par Michel Roudot

KIT DE DÉTECTION DE BALIVERNES

Ce qui suit est la traduction d'un extrait de The Demon-Haunted World par Carl Sagan (pp 196-204) [1]

En science nous pouvons commencer par des résultats, des données, des observations, des mesures, des 'faits' expérimentaux. Nous inventons, si nous pouvons, un riche ensemble d'explications possibles et confrontons systématiquement chaque explication avec les faits. Au cours de leur formation, les scientifiques sont équipés d'un kit de détection d'idioties. Le kit est considéré comme allant de soi chaque fois que de nouvelles idées sont considérées. Si la nouvelle idée réchappe de l'examen par les outils de notre kit, elle a droit à une chaude, bien qu'expérimentale, acceptation. Si vous avez une telle inclination, si vous ne voulez pas acheter des balivernes même quand il est rassurant de le faire, il y a des précautions qui peuvent être prises; il y a une méthode infaillible, testée par le consommateur.

Qu'est-ce qu'il y a dans le kit ? Des outils pour la pensée sceptique.

Ce qu'on entend par pensée sceptique est le moyen de construire, et comprendre, une argumentation raisonnée et, particulièrement important, de reconnaître un argument fallacieux ou frauduleux. La question n'est pas de savoir si nous aimons la conclusion qui émerge d'un train de raisonnement, mais si la conclusion qui émerge d'un train découle de la prémisse de départ et si cette prémisse est vraie.

Parmi les outils :

L'appui sur des expériences soigneusement conçues et contrôlées est la clef, comme j'ai essayé de le souligner plus haut. Nous n'apprendrons pas beaucoup de la simple contemplation. Il est tentant de se reposer content de la première explication candidate à laquelle nous pouvons penser. Une est beaucoup mieux que aucune. Mais qu'arrive-t-il si nous pouvons en inventer plusieurs ? Comment décidons-nous entre elles ? Nous ne le faisons pas. Nous laissons l'expérience le faire. Francis Bacon a donné la raison classique :

"L'argumentation ne peut pas suffire pour la découverte de nouveau travail, car la subtilité de Nature est plus grande plusieurs fois que la subtilité de l'argument. "

Les expériences de contrôle sont essentielles. Si, par exemple, un nouveau remède prétend guérir une maladie dans 20 pour cent des cas, nous devons nous assurer qu'une population de contrôle, prenant une pilule factice de sucre qui pour ce que les sujets en savent pourrait être le nouveau médicament, n'éprouve pas aussi une rémission spontanée de la maladie dans 20 pour cent des cas.

Les variables doivent être séparées. Supposons que vous ayez le mal de mer et qu'on vous donne à la fois un bracelet de shiatsu et 50 milligrammes de meclizine. Vous constatez que le caractère désagréable disparaît. Qu'est-ce qui en est la cause - le bracelet ou la pilule ? Vous ne pouvez le dire que si vous prenez l'un sans l'autre, la prochaine fois que vous avez le mal de mer. Imaginez maintenant que vous n'avez pas l'esprit assez scientifique pour désirer avoir le mal de mer. Alors vous ne séparerez pas les variables. Vous prendrez les deux remèdes de nouveau. Vous avez atteint le résultat pratique désiré; la connaissance supplémentaire, pourriez vous dire, ne vaut pas l'inconfort de l'obtenir.

Souvent l'expérience doit être faite en "double aveugle", pour que ceux qui espérent un certain résultat ne soient pas dans la position potentiellement compromettante d'évaluer les résultats. Dans le test d'un nouveau médicament, par exemple, vous pourriez vouloir que les médecins qui déterminent quels sont les patients dont les symptômes sont soulagés ne sachent pas à qui on a donné le nouveau remède. Cette connaissance pourrait influencer leur décision, même si ce n'est qu'inconsciemment. Au lieu de cela la liste de ceux qui ont éprouvé une rémission de leurs symptômes peut être comparée avec la liste de ceux qui ont obtenu le nouveau médicament, chacune étant établie indépendamment. Ensuite vous pouvez déterminer quelle corrélation existe. Ou dans la conduite d'un contrôle de police ou identification de photo, le policier responsable ne devrait pas savoir qui est le suspect principal, afin de ne pas influencer consciemment ou inconsciemment le témoin.

En plus de nous apprendre que faire en évaluant une prétendue connaissance, tout bon kit de détection de balivernes doit aussi nous apprendre quoi ne pas faire. Il nous aide à reconnaître les erreurs de logique et de rhétorique les plus communes et périlleuses. Beaucoup de bons exemples peuvent être trouvés dans la religion et la politique, parce que leurs praticiens sont si souvent obligés de justifier deux propositions contradictoires. Parmi ces erreurs on trouve :

Connaître l'existence de telles erreurs logiques et rhétoriques arrondit notre boîte à outils. Comme tous les outils, le kit de détection de balivernes peut être employé improprement, appliqué hors contexte, ou même employé comme une alternative automatique à la pensée. Mais appliqué judicieusement, il peut faire toute la différence dans le monde - et en particulier en évaluant nos propres arguments avant que nous ne les présentions à d'autres.

Note de bas de page :

Mon exemple préféré est cette histoire, sur le physicien italien Enrico Fermi, nouvellement arrivé sur les rivages américains, enrôlé dans le projet Manhattan d'armes nucléaire et mis face à face au milieu de la Deuxième Guerre mondiale avec des officiers américains :

Untel est un grand général, lui dit on.
"Quelle est la définition d'un grand général ?" demanda Fermi de façon caractéristique.
"Je suppose que c'est un général qui a gagné beaucoup de batailles consécutives"
"Combien ?"
Après quelques allers et retours ils s'accordèrent sur cinq.
"Quelle proportion des généraux américains sont grands ?"
Après quelques autres allers et retours, ils s'accordèrent sur quelques pour cent.

Mais imaginez, répliqua Fermi, qu'il n'y ait rien de tel qu'un grand général, que toutes les armées sont équivalentes et que gagner une bataille soit purement une question de hasard. Alors la probabilité de gagner une bataille est de une sur deux, ou 1/2; deux batailles 1/4, trois 1/8, quatre 1/16 et cinq batailles consécutives 1/32, ce qui fait environ trois pour cent. Vous attendriez que quelques pour cent des généraux américains gagnent cinq batailles consécutives, purement par hasard. Maintenant est ce qu'il y en a qui ont gagné dix batailles consécutives ..... ?


[1] Sagan, C. 1997, The Demon-Haunted World, Headline Book Publishing, London.