traduit à partir de neweconomicsinstitute.org/publications/lectures/barnes/peter/capitalism-the-commons-and-divine-right par Michel Roudot

Capitalisme, Communaux et Droit Divin

Peter Barnes

Vingt-troisième Conférence annuelle E. F. Schumacher
Octobre 2003, Stockbridge, Massachusetts
Édité par Hildegarde Hannum
Copyright © 2004 par E.F.Schumacher Society (maintenant New Economics Institute) et Peter Barnes

disponible sous forme de brochure du New Economics Institute, 140 Jug End Road, Great Barrington, MA 01230 USA (413) 528-1737, www.neweconomicsinstitute.org/publications.

Introduction par Susan Witt,
Executive Director,
E. F. Schumacher Society

Peter Barnes est un nom qui a été une expression courante à la E. F. Schumacher Society depuis notre création en 1980. En 1973 Peter a organisé une conférence intitulée “Qui Possède la Terre ?”. Quand notre président John McClaughry nous a encouragés à parrainer notre première conférence décentraliste, il a dit : “Vous savez, ce que je cherche vraiment c'est l'énergie, la vitalité, le contenu historique de cette conférence de 1973.” Donc Peter Barnes et son héritage ont plané sur nos têtes depuis le début de la Schumacher Society. Peter Barnes, quand il a organisé cette conférence, était journaliste pour The New Republic. Il était aussi un activiste qui travaillait sur les problèmes sociaux et écologiques. Après cette période de sa vie il est devenu un entrepreneur, impliqué dans l'énergie solaire et ensuite dans les années 1980 il a co-fondé l'opérateur téléphonique Working Assets Long Distance. L'idée était d'introduire une impulsion sociale dans une structure capitaliste. C'est une société prospère de laquelle il est maintenant en retraite. Il poursuit actuellement son premier amour et sa préoccupation pour les Communs dans son livre Qui Possède le Ciel ? et maintenant dans "L'État des Communs," un exposé que vous découvrirez sur la table des brochures.

Pendant la dernière année de sa vie notre président Bob Swann avait des difficultés à voir; c'était une perte de mémoire spatiale et il ne pouvait plus lire ses livres préférés, mais il avait de bons amis qui les lui lisaient. Le livre qu'il a voulu qu'on lui lise trois fois cette année là était le Qui Possède le Ciel ? de Peter Barnes. Si Bob était ici, il serait ravi de voir autant de gens réunis sur un sujet auquel il a consacré sa vie, une préoccupation pour la redéfinition de notre relation à la terre. Il vous recommanderait fortement notre orateur suivant, Peter Barnes.

* * *

J'ai rencontré pour la première fois E. F. Schumacher en 1973, quand Small Is Beautiful a été publié aux États-Unis. à cette époque j'étais journaliste pour le magazine The New Republic et un ami m'a dit que je devais lire ce livre. Je l'ai fait, et — comme comme on dit aujourd'hui — j'ai été “soufflé. ” Jamais auparavant je n'avais lu un livre par un économiste qui était aussi passionné, aussi littéraire, avec aussi peu de crainte de défier l'orthodoxie dominante . Quand j'ai fait la critique de Small Is Beautiful pour The New Republic, j'ai écrit : “Je n'avais jamais entendu parler d'E. F. Schumacher avant de lire ce livre. Après l'avoir lu je suis prêt à le proposer au Prix Nobel d'économie.” Je le suis toujours .

Schumacher a écrit avec éloquence sur beaucoup de choses. Pour certaines personnes, ses contributions les plus importantes ont à voir avec l'échelle humaine et la technologie appropriée. Pour moi, en le relisant trente ans plus tard, ce qui se détache est son accent sur la permanence. “D'un point de vue économique,” écrivait il, “le concept central de la sagesse est la permanence. Rien n'a de sens économique à moins que sa poursuite à long terme puisse être projetée sans se heurter à des absurdités.”

Un problème majeur avec le capitalisme est que le marché, comme l'a noté Schumacher, “méconnaît totalement les choses qui ne peuvent pas être, ou qui n'ont pas été, appropriées à titre privé, mais sont néanmoins une pré-condition essentielle de toute activité humaine, comme l'air, l'eau, le sol et en fait la totalité du cadre de la nature vivante.” Le résultat est que nous humains sommes en train de détruire notre propre nid. Et non seulement notre nid mais le nid de toutes les autres créatures qui partagent notre planète. Le deuxième grand problème avec le capitalisme est l'inégalité. Schumacher ne s'y est pas arrêté, mais un autre de mes auteurs préférés, Tom Paine, l'a fait. Je reviendrai sur l'inégalité et Tom Paine plus tard.

Aujourd'hui je veux examiner ces problèmes jumeaux du capitalisme — l'inégalité et le manque de permanence — à travers une nouvelle loupe. Cette loupe est les Communs. Pourquoi cette loupe particulière ? Laissez-moi revenir en arrière et dire que même avant que je n'aie lu Schumacher, je m'étais efforcé de comprendre le système capitaliste dans lequel nous vivons. D'abord, quand gamin je faisais les calculs dans les livres de mon père sur la bourse, puis comme étudiant d'économie à l'université, plus tard comme journaliste et activiste politique et finalement, pendant vingt ans, comme homme d'affaires. Mon motif principal pour être homme d'affaires n'était pas de faire beaucoup d'argent, mais de voir jusqu'où les frontières du capitalisme pouvaient être repoussées en y travaillant de l'intérieur.

Je pense que j'ai maintenant une compréhension assez bonne du capitalisme — tant ses vertus que ses défauts. Et je devrais dire que j'aime beaucoup d'aspects du capitalisme; j'aime la liberté, le dynamisme, la créativité qu'il déclenche. Jamais, pour rien au monde, je ne voudrais supprimer le marché comme moteur principal de la productivité. Pourtant, bien que j'apprécie les vertus du marché et connais les problèmes qu'il peut résoudre, je reconnais aussi ceux qu'il ne peut pas résoudre et ceux qu'il aggrave inexorablement. Dans cette dernière catégorie il y a les deux très gros problèmes que j'ai mentionné tout à l'heure — des tragédies, véritablement, de proportion majeure : la destruction de systèmes naturels immémoriaux et l'exacerbation de l'inégalité entre les gens.

Ce sont des défauts systémiques fondamentaux. Pas quelque chose qu'on peut réparer par des rustines ici et là, en arrêtant ceci ou en sauvant cela, en dépensant plus pour l'éducation ou en ajoutant quelques réglementations gouvernementales. Ce genre de réformes peut nous faire nous sentir mieux et peut même être avantageux, mais ne change pas fondamentalement un système qui méprise la permanence et augmente l'inégalité par nature.

Que je sois bien clair. Tout système économique dont le principe mathématique fondamental est de maximiser le profit à court terme pour quelques-uns ne peut que produire ces résultats. Ce n'est pas par accident qu'en dépit de plus d'un siècle de réformes non systémiques, l'énorme rouleau compresseur, maximisateur de profit, destructeur de la nature, concentrateur de richesse, qu'est le capitalisme moderne, avance inexorablement.

Le problème principal est le système économique lui-même, et par là je veux dire non seulement le marché, mais aussi tout ce qui entoure et interagit avec le marché. C'est le système économique dans son ensemble qui doit être reprogrammé — "mis à jour", si vous voulez, comme un système d'exploitation d'ordinateur. Mais comment ? Qu'est-ce qui ne va pas avec le système d'exploitation actuel ? Qu'est-ce qui manque ? Comme j'ai réfléchi à cette question de différents points de vue, la réponse à laquelle je suis arrivé est la suivante : la pièce manquante. La pièce, sans laquelle le marché ne fonctionnera jamais correctement, est les Communs. C'est cette partie du système entier sur laquelle je veux attirer votre attention aujourd'hui.

Par beaucoup de côtés les Communs ressemblent à la matière sombre de l'univers. C'est partout, mais nous ne le voyons pas. La seule matière économique que nous voyons est celle avec des symboles dollar qui clignotent. Dans mon esprit, le grand défi du vingt et unième siècle est de rendre les Communs visibles, de leur donner une révérence appropriée et de traduire cette révérence dans des droits de propriété et des institutions juridiques qui soient à égalité avec ceux que nous donnons actuellement à la propriété privée. Si ce défi est résolu, je pense que nous pouvons résoudre les problèmes de manque de permanence et d'inégalité tout en conservant ce qui est le meilleur dans le capitalisme.

Qu'est ce que les Communs ?

Il est important de distinguer entre un commun et les Communs (ndt : en anglais "a commons" et "the commons"; le mot, bien qu'ayant l'aspect d'un pluriel est, selon le contexte, un singulier ou un collectif, forme grammaticale rare en anglais, d'où la nécessité d'une explication, et inexistante en français). Un commun est spécifique : le terrain de jeu en bas de la rue, la rivière Housatonic (ndt : dans le Massachusetts), le Boston Common (ndt : le plus ancien jardin public des états-unis). Les Communs sont un concept abstrait comparable au marché ou à l'État. C'est la somme de milliers, peut-être de millions, de communs individuels. Aujourd'hui je parlerai surtout des Communs comme un concept représentant la somme de beaucoup de communs plus petits.

Qu'est ce, alors, que les Communs ? Il n'y a pas de réponse simple ou évidente, laissez-moi donc errer un peu autour avant d'offrir une définition moderne et, je l'espère, utile.

Tout d'abord, les Communs consistent dans des choses que nous partageons. Autrement dit, si c'est une rue ou une rivière ou l'air ou l'énorme stock de connaissances humaines — rien de tout cela n'appartient à vous ou à moi ou à des sociétés privées. Ce sont des choses que nous partageons d'une manière ou d'une autre.

Deuxièmement, les Communs consistent dans des choses que nous héritons. Ce n'est pas composé de quoi que ce soit que vous ou moi ou une quelconque entreprise fabrique. On peut argumenter avec une bonne raison que si vous fabriquez ou inventez quelque chose, ça devrait être votre propriété privée, au moins pendant un certain temps. C'est une façon parfaitement adéquate de récompenser les gens et les entreprises pour la valeur qu'ils créent et les risques qu'ils prennent. Mais l'air et l'eau et les écosystèmes et l'ADN et le langage et les institutions juridiques aussi bien que politiques ne sont fabriqués par aucun individu ou entreprise. Ce sont des cadeaux dont nous héritons, soit de la nature soit des efforts collectifs de millions de gens.

Troisièmement, les Communs consistent dans des choses que nous devons transmettre aux générations futures. De la même façon que nous recevons les Communs comme un cadeau, de même nous avons l'obligation morale de transmettre ce cadeau à nos enfants au moins en aussi bon état que nous l'avons reçu. Si nous pouvons y ajouter, l'améliorer, tant mieux. Au minimum nous ne devons pas le dégrader et nous n'avons certainement aucun droit de le détruire.

Quatrièmement, les sortes de choses qui ont tendance à être des Communs ne sont pas petites; elles ont tendance à être grandes et elles ont tendance à être des espaces ou des systèmes — systèmes naturels ou systèmes sociaux. A l'intérieur de ces espaces et de ces systèmes il peut y avoir des parties privées : par exemple, beaucoup de parties d'Internet ou d'un bassin versant peuvent être privées. Mais l'Internet et le bassin versant en tant que systèmes entiers sont des Communs et nous les partageons. Les systèmes, si non toutes leurs parties, font partie des Communs.

Et cinquièmement, laissez-moi dissiper deux mythes qui ont fait obstacle à une compréhension claire concernant les Communs pendant de nombreuses années. L'un est le mythe que toutes les Communs sont par nature autodestructeurs. Ce mythe est en grande partie le résultat d'un essai de 1968 intitulé “la Tragédie des Communs” du feu biologiste Garrett Hardin. Hardin a fait l'hypothèse qu'il n'y a essentiellement qu'une sorte de Communs : le pâturage non enclos ou la décharge sans système de gestion, des zones sur lesquelles les individus peuvent ajouter des animaux et des déchets librement et à volonté sans limitation. Le résultat c'est que leur destruction peut en résulter. Ce que Hardin a omis c'est qu'il y a beaucoup de sortes de Communs et beaucoup de façons de les gérer. Par exemple, vous pouvez mettre une barrière autour d'un pâturage ou vous pouvez mettre une barrière autour d'une décharge et facturer des droits sur les déchets ; vous pouvez avoir des quotas de pêche et de chasse et vendre des licences. Il n'y a aucune tragédie si les Communs sont traités correctement.

L'autre mythe est qu'un commun doit toujours être libre et ouvert à quiconque veut l'utiliser. Dans un monde faiblement peuplé, ce serait la façon idéale d'organiser un commun, mais dans un monde surpeuplé, comme celui que nous habitons maintenant, nous ne devons pas permettre de déversements illimités dans l'air, l'eau et le sol. Nous devons mettre des limites aux usages de beaucoup de nos Communs : aux bruits que nous permettons dans les espaces partagés autour de nous, à la chasse et à la pêche, aux coupes d'arbres, aux panneaux d'affichage. Nous pouvons facturer des péages pour le stationnement dans des rues de la ville, pour utiliser des autoroutes encombrées et pour circuler en voiture dans le centre de villes comme Londres. Tout ces exemples sont des outils de gestion légitimes pour protéger et préserver différentes sortes de Communs.

Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles les Communs sont si importants. Nous savons tous pourquoi le marché est important : il produit et distribue la variété énorme des biens et services qui caractérisent notre société de haute consommation. Ce que les Communs font pour chacun d'entre nous est moins évident — en partie, devrais je noter, parce que les Communs ne font jamais de la publicité !

  1. Pendant la plus grande part de l'existence humaine les Communs ont fourni l'alimentation, l'eau, le combustible et les médicaments de chacun. Les gens ont chassé, pêché, cueilli des fruits et herbes sauvages, ramassé du bois de chauffage et des matériaux de construction, fait paître leurs animaux dans des pâturages communs et cultivé des terrains communaux. En d'autres termes, les Communs étaient la source de subsistance de base. C'est toujours vrai aujourd'hui dans beaucoup de parties du monde, et même dans la ville où je vis, San Francisco, il y a des gens qui pêchent dans la Baie, non pour le sport, mais pour se nourrir.
  2. Les Communs sont la source de toutes les ressources naturelles et de beaucoup de services de reconstitution de la nature. L'eau, l'air, l'ADN, les semences, la terre arable, le feu, l'électricité, les minéraux, les animaux sauvages, les animaux domestiquables, les plantes comestibles, les plantes médicales, l'énergie solaire, l'énergie éolienne, l'énergie hydraulique, les forêts, les rivières, la protection contre les ultra-violets, la régulation climatique, la biodiversité et bien d'autres choses. Ce sont tous des éléments des Communs.
  3. Les Communs sont notre ultime dépotoir. Ils recyclent l'eau, l'oxygène, le carbone et tout le reste que nous excrétons, exhalons et jetons. C'est l'endroit où nous stockons, ou essayons de stocker, les résidus toxiques de notre système industriel moderne.
  4. Les Communs détiennent et diffusent l'énorme accumulation de science, d'art, de coutumes et de lois de l'humanité. C'est la pépinière de toute créativité humaine. Comme Isaac Newton disait, "Si j'ai vu plus loin c'est en me tenant debout sur les épaules de géants." Sans le partage ouvert des idées, il n'y aurait ni religion, ni science, ni mathématiques, ni philosophie, ni jeux d'enfant, ni instruments de musique, ni danses, ni jazz, ni hip-hop, ni mode, ni sport, ni démocratie, ni universités, ni bibliothèques — la liste est sans fin.
  5. Les Communs sont essentiels pour la communication humaine. Nous parlons l'un à l'autre avec des symboles partagés et les langues qui sont les produits vivants de nombre de générations. La plupart des espaces par lesquels nous communiquons — l'air qui porte le son, l'environnement visuel que nous utilisons pour les panneaux de signalisation et des panneaux d'affichage, l'énorme tissu mondial de cables et de commutateurs que nous appelons l'Internet, les ondes électromagnétiques que nous utilisons pour la radio, la télé et les téléphones portables — font partie des Communs.
  6. Nous utilisons les Communs chaque fois que nous voyageons d'un endroit à l'autre, que ce soit sur terre, sur l'eau, ou dans l'air. Si nous ne pouvions pas utiliser les Communs de cette façon, nous serions prisonniers dans nos maisons privées.
  7. Nous dépendons des Communs pour notre sens de la communauté. Les Communs sont l'arbre du village, la place publique, la Grand Rue, le voisinage et le terrain de jeu. En complément de la famille, c'est la colle qui nous maintient ensemble.

Maintenant je voudrais parler de l'histoire des Communs, qui est aussi vieille que la terre elle-même. Comme je l'ai dit il y a un moment, pendant la plus grande part de l'existence humaine c'était — et pour beaucoup c'est toujours - la source de subsistance de base. D'un point de vue conceptuel, l'idée des Communs remonte à des centaines d'années.

Les Romains distinguaient trois types de propriété : res privatæ, res publicæ Et res communes. La première comprenait les choses pouvant être possédées par un individu ou une famille, la deuxième les choses construites et réservées pour l'utilisation publique par l'état, comme les édifices publics et les routes, et la troisième les choses naturelles utilisées par tous, comme l'air, l'eau et les animaux sauvages. Ceci a été codifié dans les Institutes de Justinien, la formidable somme sur le Droit romain, qui disait : “Selon la loi de nature ces choses sont communes à l'humanité — l'air, l'eau courante, la mer et par conséquent le rivage de la mer.”

Au Royaume-Uni pendant le Moyen âge, les Communs étaient des terres partagées utilisés par les villageois pour affourager, chasser, planter des cultures et récolter du bois. En 1215 la Grande Charte a établi les forêts et pêcheries comme res communes, ressources disponibles pour tous.

En Amérique, quatre des premiers états — Massachusetts, Pennsylvanie, Virginie et Kentucky — se sont nommés eux-mêmes "Commonwealths" (ndt : communauté, richesse commune). Plusieurs états ont déclaré dans leurs constitutions que les ressources naturelles appartiennent au peuple et que le gouvernement agit comme le fidéicommissaire du peuple. La Constitution de Pennsylvanie contient toujours ces mots : “Les ressources naturelles publiques de Pennsylvanie sont la propriété commune de tout le peuple, y compris les générations encore à venir. Comme administrateur de ces ressources, le Commonwealth les conservera et maintiendra pour le bien de tout le peuple.”

Voilà, en bref, le bon côté de l'histoire des Communs. Malheureusement, il y a un mauvais côté, un côté tragique, aussi. C'est la longue histoire de l'enclosure des Communs, qui a commencé dans l'Angleterre du dix-huitième siècle et continue jusqu'à ce jour, en Amérique et presque partout dans le monde. Comme Andrew Kimbrell l'a dit dans sa Conférence Schumacher il y a quelques années : “ce n'est plus seulement l'enclosure des terres : c'est l'enclosure de nos gènes, c'est l'enclosure des mers; c'est l'enclosure par les entreprises de pratiquement tous les Communs de la vie.”

Enclosure est un mot démodé pour privatisation (ndt : la traduction littérale en français est clôture, mais j'ai conservé le terme anglais par référence au "mouvement des enclosures" puisque c'est bien ce dont il est question). Au début cela concernait la privatisation par l'aristocratie terrienne ; aujourd'hui cela concerne la privatisation par les entreprises. Dans tous les cas, cela signifie que ce qui avait appartenu à beaucoup de gens appartient maintenant à quelques-uns. L'enclosure est d'ordinaire justifiée au nom de "l'efficacité". Et parfois elle aboutit vraiment à des gains d'efficacité. Mais ce qui résulte aussi de l'enclosure est l'appauvrissement de ceux qui perdent l'accès au Commun et l'enrichissement de ceux qui prennent un droit sur lui. Autrement dit, l'enclosure élargit l'écart entre ceux dont la propriété produit une rente et les autres.

Arrivé à ce point, après quelques digressions, je suis prêt à offrir une définition moderne des Communs. Je dis "moderne" parce que je veux effacer de nos esprits la notion désuète qui voit un Commun comme un pâturage ou un lopin de terre. La façon la plus utile de comprendre les Communs aujourd'hui est comme la somme de tout ce que nous héritons collectivement et devons transmettre, non diminué et plus ou moins également, à nos héritiers. (Ici j'inclus les héritiers non-humains aussi bien qu'humains). Une autre façon de le dire est que les Communs consistent en ce que personne ne possède ou que nous possédons tous ensemble — par contraste avec le marché, qui consiste en ce que nous possédons à titre privé.

Dans tous les cas, l'économie en tant que système global est divisée entre le marché et les Communs. Dans la partie marché du système se trouve ce que nous gérons surtout pour le gain financier à court terme d'une classe possédante; dans la partie Communs du système se trouve ce que nous gérons — ou devrions gérer, parce que nous ne le faisons pas actuellement — pour le développement à long terme de toutes les créatures vivantes.

Les économistes, les politiciens et les médias ont eu tendance à se concentrer presque exclusivement sur le côté marché de l'économie, bien que les Communs soient de même importance. (En fait, il se trouve que les Communs ont plus de valeur, même en termes vulgaires de dollars, que le marché, mais je ne veux pas entrer dans les détails ici.) Indépendamment de leur valeur relative, les Communs précèdent le marché et sont la source de l'essentiel de ce qui pénètre dans le marché et absorbent tout ce qui en sort. Pour faire une image, nous pourrions dire que les Communs entourent le marché. Ou, de manière plus dynamique, que les Communs sont l'étang dans lequel nage le poisson de la propriété privée.

J'aime l'image du "poisson-dans-l'étang" pour deux raisons. D'abord, il suggère la notion que le marché comme les Communs sont des systèmes vivants, avec des parties constamment en mouvement et en interaction. L'étang est une soupe d'eau, d'air, de lumière, de chaleur, de courants, de substances nutritives et de formes de vie; les poissons sont des créatures actives, en compétition, constamment en mouvement, prenant ce dont ils ont besoin dans l'étang, croissant, excrétant, se reproduisant et mourant. C'est à peu près la façon dont les entreprises fonctionnent. Deuxièmement, l'image étang-et-poisson pointe sur un aspect plutôt remarquable des entreprises. à la différence du vrai poisson ou des autres formes de vie, l'entreprise n'a pas de taille optimale ou maximale. Elle peut grandir, ou présumer qu'elle peut grandir, ad infinitum, sans endommager l'étang. Bien sûr, si on y réfléchit, c'est une impossibilité.

En tout cas, le système économique global a ces deux secteurs distincts, les Communs et le marché. Ils ont des règles différentes et des principes directeurs différents et les frontières entre ces secteurs changent avec le temps. Pendant les trois derniers siècles ce changement s'est fait dans une direction seulement : le marché s'est régulièrement étendu dans les Communs.

Ce que je propose est qu'à partir de ce moment nous inversions cette direction. Je suis convaincu que c'est non seulement absolument nécessaire, mais éminemment faisable — si nous y accordons notre attention. Dans le reste de mon exposé je voudrais montrer comment. Mais d'abord, je dois en dire un peu plus sur le marché et l'état.

Le Marché et l'État

Dans l'esprit de la plupart des économistes le marché flotte dans un univers illimité. Il prend des ressources dans cet univers, les transforme en produits qui peuvent être vendus de façon profitable et renvoie tous les déchets dans des puits sans fond. Si n'importe quelle ressource particulière vient à manquer, le marché peut — grâce à l'ingéniosité humaine — la remplacer par une autre. Comme tant les puits que les ressources, avec leurs substitutions, sont illimités, ce jeu peut continuer pour toujours. Mais comme Schumacher et beaucoup d'autres l'ont indiqué, cette vue est un fantasme. C'est un fantasme non pas tellement parce que nous allons nous retrouver à court de ressources, mais parce que nous allons nous nous retrouver à court de puits. Cet épuisement des puits est le plus imminent, assez étonnamment, dans le ciel. Dans les années 1970 Schumacher avertissait que nous serions bientôt à court de pétrole ; en fait, il reste toujours une bonne quantité de pétrole dans le sol et aussi beaucoup de gaz et de charbon. Mais longtemps avant d'être à court de combustibles fossiles, nous allons épuiser la capacité de l'atmosphère à absorber sans risque les déchets produits en les brûlant.

Ce n'est pas l'endroit d'entrer dans les détails du changement climatique. Si vous êtes intéressé, vous pouvez lire mon livre Qui Possède le Ciel ? Le sujet ici est que l'atmosphère n'est pas infinie. C'est une ressource économique rare et donc de valeur. C'est aussi un Commun qui est utilisé gratuitement par des pollueurs et en conséquence il est transformé en un égout. Pour reprendre les mots de Schumacher, comme le marché “ne tient absolument aucun compte" de l'air, nous sommes sérieusement sur le chemin de faire fondre les calottes polaires, de changer le cours du Gulf Stream et d'altérer radicalement la vie sur terre. Ceci a un rapport avec le problème de l'impermanence que le marché, par lui même, ne peut résoudre.

Laissez-moi maintenant offrir une autre façon de penser le marché. Je suis sûr que beaucoup d'entre vous ont vu "Fantasia", le classique de Disney. Dans ce film il y a un merveilleux passage mettant en vedette Mickey Mouse en Apprenti Sorcier. Mickey est chargé de nettoyer l'atelier; il pense qu'il peut faire son travail plus facilement en faisant le balai porter un seau d'eau pour lui. D'un grand geste des bras il commande avec jubilation le balai, qui se retrouve hors de contrôle. Paniqué, Mickey prend une hache et découpe le balai en petits morceaux, mais chaque morceau se transforme en nouveau balai portant un nouveau seau et bientôt l'atelier entier est englouti par un flot rageur. C'est seulement quand le sage vieux Sorcier revient que le chaos liquide revient sous contrôle.

Par bien des points de vues le marché ressemble à ces balais hors de contrôle. Il est peuplé par une armée de sociétés qui sont programmées, comme des robots, pour maximiser le profit à court terme pour quelques uns. Peu importe comment vous criez sur elles ou comment vous les découpez en morceaux, elles continuent à faire ce qu'elles sont programmées à faire. Le Sorcier qui sait comment les arrêter est introuvable.

Bien sûr, les entreprises créent vraiment des produits et des emplois utiles. Mais le calcul robotisé qui les conduit les contraint à payer le moins possible pour les ressources qu'elles utilisent et à transférer autant de coûts que possible à d'autres — que ce soient les employés, les contribuables, les générations futures, ou la nature. Cela arrive quotidiennement, automatiquement et à très grande échelle, et personne n'est capable de l'arrêter.

Maintenant, le fait que les entreprises agissent comme des robots maximisant le profit, transférant autant de coûts que possible à d'autres, n'est pas une révélation choquante. Ça a été souligné à maintes reprises pendant au moins un siècle. Ce qui est nouveau est que l'accumulation de ces coûts externalisés a atteint le point où l'intégrité biologique de notre planète est en grave danger. Je n'ai pas besoin de décrire les indicateurs — extinction d'espèce, changement du climat, accumulation de produits chimiques toxiques, dégradation des forêts, des océans, des aquifères et des zones humides, etc — parce que vous les connaissez bien. Ce que je veux dire est que cela ne peut pas continuer beaucoup plus longtemps. Le problème que nous devons résoudre — et vite — est comment arrêter et en fait inverser, ce carnage systématique.

Il est utile de regarder ce problème par la lunette des Communs. J'ai parlé des enclosures et de comment pendant trois siècles le marché a privatisé tout ce sur quoi il a pu mettre la main. Et j'ai parlé d'externalisation et de comment pendant grossièrement la même période le marché s'est débarrassé des déchets et des coûts impayés dans les Communs. En réalité, ce qui s'est passé est une agression implacable, sur deux fronts, des Communs par le marché. D'une main le marché prend ce qu'il y a de bon dans les Communs; de l'autre main il se débarrasse dans les Communs de ce qu'il y a de mauvais. Si quelqu'un entretenait un bilan comptable de notre bien commun, il n'aurait pas bonne mine.

Une partie du problème est que personne n'entretient un tel bilan, ce qui est tout à fait étrange, étant donné que la comptabilité en partie double a été inventée au seizième siècle. Tout économiste et tout homme d'affaires sait que le revenu d'une personne est la dépense d'une autre personne et que le passif compense pour la plus grande part les actifs. Pourtant quand il s'agit de tenir des comptes en partie double pour le marché et les Communs globalement, nous ne le faisons simplement pas.

Une partie plus importante du problème est que le match entre le marché et les Communs n'a jamais été équilbré. Ça a toujours été comme une World Series (ndt : le principal championnat de base ball) entre les New York Yankees (ndt : de loin la première équipe aux WorldSeries) et les Portland Sea Dogs (ndt : une équipe de la ligue mineure). Un côté a tout l'argent, les super frappeurs et les meilleurs lanceurs; il paye aussi, pourrais je ajouter, les arbitres. Métaphores sportives mises à part, il est extrêmement important de comprendre pourquoi le marché est tellement plus fort que les Communs. Il y a des raisons multiples, sans aucun doute, mais il y en a deux que je voudrais mettre en évidence aujourd'hui. L'une est en rapport avec la loi — ou, plus précisément, avec les droits de propriété ; l'autre est en rapport avec les institutions.

Droit Divin

Examinons d'abord les droits de propriété. Marjorie Kelly a écrit un livre brillant intitulé Le Droit Divin du Capital. Par "divin" elle ne veut pas dire Donné par Dieu, bien qu'il y ait réellement quelques apologistes du capitalisme qui attribuent la conception actuelle de notre économie au Tout-puissant. Ce qu'elle veut dire est que dans le cadre des lois actuelles de notre pays, les droits du capital prennent le dessus sur tout le reste. Les droits des salariés, les droits des communautés, les droits de la nature et les droits des générations futures sont tous subordonnés au droit du capital de maximiser le profit à court terme pour quelques uns.

Cette primauté du capital est incorporée non seulement dans la loi d'état et la loi fédérale, mais aussi dans des traités internationaux comme le GATT (l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce) et l'ALENA (l'Accord de Libre-Echange Nord-Américain). Ainsi, une société de Californie, Sun Belt Water, a voulu exporter l'eau du Canada dans des supertankers et la vendre aux Californiens du sud. Le Canada a refusé, et la société a poursuivi le Canada en justice pour des milliards de dollars de dommages et intérêts, revendiquant que sous l'ALENA son droit de faire un profit était supérieur au droit du Canada de protéger ses ressources naturelles.

Maintenant, qui obtient le droit divin dans n'importe quelle société est toujours une question intéressante. Comme j'ai un fils de quinze ans qui apprend à conduire, j'ai lu le Code de la Route de Californie l'autre jour et suis tombé par hasard sur la règle suivante : “à une intersection, cédez le passage à la voiture qui arrive la première ou à la voiture sur votre droite si elle atteint l'intersection en même temps que vous.” Pourquoi la voiture sur la droite prend elle le dessus sur la voiture à sa gauche ? Ce n'est pas clair. Il est tout à fait probable que la règle est entièrement arbitraire, mais quelqu'un doit avoir le droit de passage ou les voitures entreront en collision. La même chose est vraie pour les bateaux en mer et pour déplacer des objets dans n'importe quel système complexe. Quelqu'un doit être “le roi de la route.”

Il en est de même aussi dans une économie de marché. Quand deux droits de propriété arrivent à la même intersection, l'une doit prendre le pas sur l'autre. Le capital peut prendre le pas sur le travail, ou le travail peut prendre le pas sur le capital. Mon droit de polluer prend le pas sur votre droit à ne pas être pollué, ou vice versa. Un des droits de propriété contradictoires, pourriez vous dire, doit être le droit divin. Mais lequel ? Invariablement, ceux qui détiennent le droit divin à n'importe quelle époque disent qu'il n'y a pas le choix : ils sont les seuls détenteurs imaginables de ce droit. Les rois le disaient il y a trois siècles ; les propriétaires de capital le disent aujourd'hui. Les rois payaient les prêtres pour donner une créance morale à leurs revendications tandis que les propriétaires de capital payent maintenant des économistes pour prêter une créance "scientifique" à leurs revendications. La vérité est, cependant, que nous avons vraiment le choix. La société choisit le détenteur du droit divin et son choix peut changer dans le temps.

Gardez à l'esprit que même si nous ne parlons pas littéralement de divinité, nous parlons de révérence. La révérence ne vient pas de "là-haut"; elle vient d'“ici dedans.” Aujourd'hui, en dépit tout nos discours sur les valeurs familiales, Dieu et la nature, nous en Occident révérons le capital par-dessus tout. C'est pourquoi nous lui donnons des droits supérieurs dans notre économie — en fait, c'est pour cela que nous appelons notre système économique le "capitalisme". Si nous devions révérer les Communs aussi ardemment que nous révérons actuellement le capital, notre droit divin changerait.

Pour revenir aux problèmes de l'impermanence et de l'inégalité : il me semble que si quoi que ce soit est divin, cela devrait être ces choses dont nous héritons en commun et que nous devrions transmettre, non diminuées et plus ou moins également, aux générations futures. La permanence devrait prendre le pas sur l'impermanence. Les avantages généraux devraient prendre le pas sur les avantages restreints. Les Communs devraient prendre le pas sur le capital.

Dans une perspective historique l'explosion du marché pendant les trois siècles passés a été une réponse logique au problème des biens et services rares ; il est parfaitement normal que, pendant ce temps, le capital ait détenu le droit divin de façon à pouvoir efficacement inonder le monde de biens et services. Mais maintenant nous humains, en tant qu'espèce impériale dominante, approchons de ce que Schumacher appelait “les limites de tolérance de la nature.” Aujourd'hui notre problème, au moins en Occident, n'est pas la pénurie de biens et services; c'est la pénurie de nature et d'équité, de temps et de calme. Donc, la logique historique est que le droit divin dans les économies modernes, post-industrielles change en faveur des Communs.

Bien sûr, c'est plus facile à dire qu'à faire. Je ne peux penser qu'à une seule loi américaine — la Loi sur les Espèces en voie de disparition — qui donne la précédence au permanent sur le transitoire, aux Communs sur le capital. La Loi sur les Espèces en voie de disparition dit que le droit d'une espèce à survivre prévaut sur le droit du capital au profit à court terme. Le problème est que la loi entre en jeu seulement in extremis, quand une espèce a été tellement décimée qu'elle est au bord de l'extinction. La situation plus générale n'est pas simplement que le capital prend le pas sur les Communs, mais que les Communs n'ont pas de droit du tout. Les protections de la propriété privée sont inscrites dans notre Constitution, tandis que la notion qu'il y ait même une chose telle que les Communs n'en est encore qu'à ses balbutiements.

Je veux ajouter encore deux réflexions sur les droits légaux ici. Premièrement il y a une différence entre les droits de l'homme et les droits de propriété. Les droits de l'homme comprennent les droits à la vie, la liberté, l'expression, et cætera ; les droits de propriété impliquent le pouvoir de posséder, contrôler et vendre des choses, de limiter leur utilisation par d'autres personnes, et de faire payer pour les utiliser. Il peut aussi y avoir une troisième classe, celle des droits non-humains, comme ceux proposés par Thomas Berry ce matin. Je veux être clair sur le fait que ce dont je parle aujourd'hui c'est des droits de propriété, en reconnaissant que ces droits de propriété ont des implications significatives sur les droits humains et non-humains.

L'autre réflexion sur les droits de propriété implique l'un des économistes les plus originaux du vingtième siècle, Ronald Coase. Coase a travaillé avec Milton Friedman à l'Université de Chicago et est considèré comme un conservateur. Lauréat du Prix Nobel, il est surtout reconnu pour son théorème selon lequel la pollution peut être réduite plus efficacement par les droits de propriété que par la réglementation gouvernementale.

Un aspect de l'argument de Coase est que si l'on donne aux pollués le droit de n'être pas pollués, ils peuvent négocier avec les pollueurs sur le marché et que les résultats finaux seront (a) que ces pollueurs payeront aux pollués un prix basé sur la quantité de pollution que les pollués sont disposés à accepter aussi bien que sur la gravité avec laquelle les pollueurs veulent polluer et (b) il y aura par conséquent moins de pollution. Il a aussi soutenu que l'approche par les droits de propriété marcherait exactement de la même façon si on donne aux pollueurs le droit de polluer et que les pollués les payent pour ne pas polluer. Il était étrangement indifférent à la question de savoir qui devrait avoir les droits de propriété initiaux et qui devrait payer qui.

Le théorème de Coase est devenu la base des programmes dits "de plafonnement et d'échanges de droits d'émission" tels que le marché du dioxyde de soufre introduit dans les années 1990 pour réduire les pluies acides. Ces programmes, qui sont maintenant assez populaires comme façons de réduire la pollution, sont généralement soutenus par le monde des affaires parce qu'ils permettent aux pollueurs de comprendre les façons les meilleur marché de réduire la pollution. Malheureusement, ils ont jusqu'à présent été mis en place avec les droits de propriété initiaux donnés gratuitement aux pollueurs. Le résultat économique est que des milliards de dollars ont été payés aux pollueurs par les pollués.

Comment cela marche-t-il ? Eh bien, les économistes ont un concept appelé “la rente de rareté.” La rente de rareté est comme une prime que les propriétaires de quelque chose de très demandé obtiennent d'autres personnes seulement en raison de la rareté. Mona Lisa, par exemple, a une haute rente de rareté ; comme il n'y en a qu'une, elle est très demandée. En général, plus les choses sont rares — comme les terrains constructibles, les balles des coups de circuit de Barry Bonds et les médaillons de taxi de New York — plus élevée est la rente de rareté. Comme l'OPEP ou tout autre cartel le sait, quand vous limitez l'approvisionnement vous pouvez augmenter les prix et les profits, parfois de montants énormes.

Qu'arrive-t-il quand nous mettons en place un système de plafonnement et d'échanges de droits d'émission et donnons les droits de propriété initiaux aux pollueurs ? Tout d'abord, nous réduisons la pollution, ce qui est bien. Deuxièmement, nous augmentons le prix de la pollution, actuellement à zéro. Ce qui est bien aussi. Et troisièmement, nous augmentons les prix de tous les biens et services maintenant produits par des processus polluants coûteux. Ceci aussi est adéquat. Mais réfléchissez à qui conserve l'argent supplémentaire que nous payons pour ces marchandises. Si on donne gratuitement aux pollueurs des droits de pollution rares, alors nous, les clients finaux et pollués, finissons par leur payer la rente de rareté à jamais. Imaginez-ça ! Parce qu'une entreprise a pollué dans le passé, elle touche de l'argent pour rien indéfiniment. à long terme, ce serait un énorme transfert de richesse aux actionnaires des entreprises historiquement polluantes. Je reviendrai sur cette question de ceux qui obtiennent les droits de propriété initiaux — pollueurs ou pollués — dans une minute.

L'autre raison pour laquelle les Communs sont beaucoup plus faibles que le marché, en plus de la suprématie des droits du capital, est le déséquilibre institutionnel. Comme je l'ai noté plus tôt, le marché est peuplé par d'agressifs robots maximiseurs de profit armés des droits de propriété, d'argent, de juristes et de lobbyistes. Les Communs, en revanche, sont institutionnellement en haillons.

Il n'y a aucune institution qui "possède" le ciel ou le bassin versant de la Rivière Housatonic et qui peut dire à une société : “Stop ! Ceci est une propriété commune. Vous ne pouvez pas pénétrer ici librement.” Il n'y a qu'une poignée d'institutions dont la mission est de préserver des actifs communs pour l'avenir et qui ont les droits de propriété nécessaires pour mener à bien cette mission. Ce déséquilibre institutionnel signifie que les Communs sont essentiellement sans défense contre l'agression incessante du marché.

Cela nous amène au sujet du rôle de l'État dans la défense des Communs. Le premier point sur lequel nous devons être clairs est que l'État n'est pas les Communs. L'État est l'État et les Communs sont les Communs. Les américains s'y perdent souvent parce que tellement de terre dans notre pays est publique. Dans la théorie ces terrains publics font partie des Communs, mais au mieux ils sont une petite partie et le simple fait que l'État les possède ne garantit nullement qu'ils seront gérés comme les Communs devraient être gérés. Bien au contraire, l'État a le plus souvent été un co-conspirateur avec l'industrie privée pour gérer les terrains publics en vue d'un profit à court terme plutôt que de la conservation à long terme. Le Service Forestier américain, par exemple, a dépensé des milliards de dollars de recettes fiscales à construire des routes forestières dans les forêts nationales ; il vend alors des droits de bûcheronnage aux sociétés privées moins cher que les propriétaires terriens privés. De même les droits de pâturage et les droits miniers sur les terrains fédéraux sont vendus pour une bouchée de pain. Et les ondes hertziennes publiques qui portent la radio et les signaux de TV sont données gratuitement aux conglomérats médiatiques géants qui appartiennent à Disney, General Electric et Rupert Murdoch.

Il y a un principe juridique appelé la Doctrine du Trust (ou Doctrine de la Fiducie Publique) que je devrais mentionner ici. Ce principe est issu du droit coutumier, bien qu'il soit inclus dans plusieurs constitutions d'état, comme celle de Pennsylvanie. La Doctrine du Trust affirme que les ressources naturelles appartiennent au peuple plutôt qu'à l'État et que c'est la responsabilité de l'État d'agir comme l'administrateur (le fidéicommissaire) de ces ressources pour les générations présentes et futures. Si l'État n'agit pas comme un administrateur devrait le faire, le peuple a le droit d'engager un autre administrateur. Le principe de fidéicommis est très important, et j'y reviendrai bientôt. Notons simplement pour l'instant qu'un administrateur privé qui ferait don des actifs qui lui ont été confiés serait poursuivi en justice, licencié et probablement envoyé en prison. Mais cela arrive rarement quand c'est l'état qui est l'administrateur.

Quant à la Doctrine du Trust elle-même, la difficulté est semblable à la difficulté avec la Loi sur les Espèces en voie de disparition : elle entre en jeu seulement in extremis, après qu'un État ait échoué à protéger une ressource. Dans de tels cas, les citoyens peuvent poursuivre l'État en justice et un tribunal peut ordonner à l'État de remédier à son infraction à la fiducie publique. Mais cela coûte des millions de dollars pour mener un tel procès et inutile de le dire, c'est rarement fait. C'est pourquoi, malgré sa philosophie saine, la Doctrine du Trust est un outil inadéquat pour défendre les Communs contre les agressions quotidiennes du marché. Bien sûr, si l'État agissait dès le début comme un administrateur convenable des Communs, les procès basés sur la Doctrine du Trust seraient inutiles. Ce qui nous amène à trois questions critiques :

  1. Quel est le rôle d'un administrateur de Communs ?
  2. Pourquoi l'État n'a-t-il pas été jusqu'ici un bon administrateur de Communs ?
  3. Si l'État n'est pas un bon administrateur de Communs, qui peut l'être ?

Le Rôle des Fiducies

(ndt : le concept utilisé par Barnes est le trust ; la fiducie est le concept le plus proche en droit français, mais les explications ci-dessous concernent donc pour les détails le droit anglo-saxon)

Quand nous pensons aux institutions capitalistes, celle qui vient immédiatement à l'esprit est la société. Mais il y a une autre institution qui est aussi vieille et aussi fermement établie que la société et c'est la fiducie.

L'essence d'une fiducie est une relation fiduciaire, c'est-à-dire, qui est basée sur la confiance du bénéficiaire dans l'administrateur (le fiduciaire). Un administrateur détient et gère une propriété pour une autre personne ou pour beaucoup d'autres personnes. Un exemple simple est une fiducie établie par une grand-mère pour que ses petits-enfants aient de l'argent pour entrer à l'université. Elle nomme alors un administrateur, une banque par exemple, qui a conformément à la loi une responsabilité fiduciaire de gérer les actifs au nom des bénéficiaires et d'assurer que le but de la fiducie est atteint. Une fiducie peut aussi être un fond de retraite, une fondation caritative ou une fondation universitaire.

Les règles de gestion d'une fiducie, qui sont définies selon des lois d'état et des siècles de jurisprudence, sont les suivantes :

Ces règles sont exécutoires par les tribunaux. Le mécanisme de base est qu'un bénéficiaire lésé peut poursuivre un fiduciaire et le fiduciaire doit alors prouver qu'il a agi avec prudence pour mettre en oeuvre le mandat de la fiducie. C'est le contraire de la situation avec l'État : le gouvernement peut impunément faire cadeau de ce qu'il veut. Il n'y a aucun recours légal, sauf dans de rares occasions; les politiciens ont les mains libres.

Si nous devions concevoir une institution pour protéger des parties des Communs, nous ne pourrions pas faire beaucoup mieux qu'une fiducie. Le but de la gestion des Communs, après tout, est de préserver des actifs et de distribuer des bénéfices à de larges classes de bénéficiaires. C'est ce que les fiducies accomplissent.

Que pouvons-nous, alors, dire de la capacité de l'État à servir de fiduciaire des Communs ? Dans la théorie, l'État représente tous les citoyens également et devrait pouvoir protéger nos actifs communs. Mais en réalité, les antécédents de l'État comme fiduciaire des Communs a été loin d'être exemplaire. Il y a au moins cinq raisons pour cela :

  1. Les élus qui dirigent l'état n'ont pas de perspective à long terme. De même que des dirigeants d'entreprise sont concentrés sur les comptes trimestriels suivants, les dirigeants politiques sont concentrés sur l'élection suivante. Ils aiment plaire à leurs électeurs ici et maintenant, pas s'inquiéter des générations futures.
  2. Les élus, hélas, ont besoin d'argent pour être réélus. Il est tentant de négocier des actifs communs contre des contributions privées à leurs campagnes.
  3. Les élus ne sont pas responsables devant les bénéficiaires de la même façon que les fiduciaires privés le sont. Ils peuvent faire cadeau des actifs avec une quasi-impunité tandis que des fiduciaires privés, à cause de leur responsabilité fiduciaire, ne le peuvent pas.
  4. L'État et ses dirigeants ont beaucoup d'autres choses à faire en plus de gérer des actifs communs. Cette tâche peut facilement être négligée.
  5. Les finances de l'État sont énormes et complexes. Toutes sortes de fonds sont mélangés. Il est extrêmement difficile pour le public de suivre à la trace l'argent des actifs communs ou de vérifier si ces actifs sont bien gérés.

Beaucoup de mes amis libéraux (ndt : au sens anglo-saxon, à peu près l'opposé du sens en français) deviennent nerveux quand j'expose ces arguments. Ils pensent que j'aide et soutiens ces conservateurs qui croient que l'État est toujours incompétent et que le marché a toujours raison. Donc permettez moi de préciser que ce n'est pas ce que je dis. De coeur je suis un vieux libéral façon New Deal. Je crois dans la limitation du pouvoir des entreprises et dans la réalisation d'une distribution plus juste du revenu et de la propriété, mais je suis un pragmatiste quand on en vient aux moyens de réaliser ces fins. Je pense que l'État fait bien certaines choses et mal d'autres choses.

Quand il s'agit de défendre les Communs, l'État a réellement un rôle critique à jouer. Ce rôle n'est pas de posséder et gérer les Communs directement, mais d'établir des droits de propriété commune, de soutenir les Communs avec autant d'énergie qu'il soutient le marché et de maintenir un équilibre sain entre les Communs et le marché. Le problème est aujourd'hui que l'État a abandonné ce rôle d'équilibrage et est devenu un champion farouche du marché. C'est ce que nous devons changer.

Reconstruire les Communs

Comme je la vois, la grande tâche du vingt et unième siècle est de construire un nouveau secteur commun essentiel capable de résister à l'enclosure et à l'externalisation par le marché, de protéger la planète et de partager les fruits de nos héritages communs plus équitablement que c'est maintenant le cas.

De même que le marché est peuplé par des entreprises maximisatrices de profit, de même aussi le secteur commun doit être peuplé par des fiducies préservatrices des Communs. Ces fiducies devraient être dotés de droits de propriété qui soient égales à celles des entreprises. Leurs bénéficiaires devraient être tous les citoyens de façon égale, aussi bien que les générations futures et, dans certains cas, plus largement la communauté biotique. Leurs fiduciaires et gestionnaires devraient être juridiquement responsables devant ces bénéficiaires et leurs finances devraient être complètement transparentes.

Il y a beaucoup de modèles pour de telles fiducies, y compris les Community Land Trusts (propriétés foncières communautaires), introduites par Bob Swann, le fondateur de la Schumacher Society et Susan Witt, son directeur général délégué. Mais avant que je passe à ces modèles, je dois poser quelques principes généraux de gestion des Communs.

Les gestionnaires de Communs doivent, d'abord et avant tout, protéger sur le long terme les actifs partagés. Ils doivent aussi assurer que les bénéfices issus des actifs sont largement partagés. Au-delà de ces principes de base, les règles spécifiques à la gestion de tel Commun varieront d'un Commun à un autre. Généralement parlant, ils dépendront du niveau d'utilisation que la société souhaite permettre ou encourager. Et il y a ici trois catégories distinctes, grossièrement comparables avec des situations où nous voulons le stationnement interdit, le stationnement gratuit, ou le stationnement payant.

Si nous voulons qu'un Commun soit inaccessible à tous sauf pour les usages les plus non-invasifs — une réserve naturelle, par exemple — la règle est, “Stationnement interdit” ou “Entrée interdite.” C'est tout à fait clair.

Si un Commun n'a pas de limite physique à son utilisation, comme avec Internet ou les Communs culturels, la règle est “Stationnement gratuit” ou “Plus on est de fous plus on rit.” L'utilisation devrait être aussi libre que possible, et le travail principal de gestion devrait être de réduire au minimum les postes de péage privés. C'est aussi relativement clair, au moins conceptuellement si non politiquement.

La troisième catégorie est la plus complexe et aussi la plus répandue. C'est la catégorie des Communs qui peuvent être utilisées jusqu'à un certain point, mais pas indéfiniment. Les pêcheries, les rivières, les aquifères, les forêts, l'atmosphère, les autoroutes encombrées et les rues bondées sont des exemples. Le travail de gestion est d'encourager une utilisation efficiente et d'empêcher l'usage excessif. En termes économiques son défi est de vivre du revenu sans diminuer le capital.

Il est intéressant de noter qu'il y a un vieux principe de droit coutumier qui est approprié ici. Nommé “principe riverain,” il a été appliqué aux rivières et cours d'eau en Angleterre et en Amérique coloniale. Le principe riverain dit que l'eau peut être utilisée, mais pas possédée, par ceux qui en sont adjacents, tant que les utilisateurs ne diminuent pas la ressource pour les autres. Autrement dit, vous pouvez prendre dans le Commun tant que vous ne le réduisez pas ou que vous ne le polluez pas.

Malheureusement, le principe riverain a été remplacé en Amérique par la règle d'“appropriation antérieure” — c'est-à-dire que les droits de propriété perpétuels appartiennent à quiconque prend l'eau le premier et il n'y a aucune limite à ce qu'un appropriateur peut prendre. Avec ce type de régime de propriété, ce n'est pas surprenant que l'Amérique soit de loin la nation qui utilise le plus d'eau dans le monde.

Dans la gestion des Communs où une certaine utilisation est permise mais où l'utilisation illimitée ne l'est pas, il est souvent désirable de fixer une limite à l'utilisation totale et de facturer des droits aux utilisateurs. Des limites et prix de ce type assurent la conservation, permettent aux marchés de trier les utilisations concurrentes et génère un revenu pour plusieurs objets potentiellement bons. Il est crucial qu'une fiducie représentant les Communs, et pas un pollueur privé, recueille la rente de rareté résultant de l'établissement de limites d'utilisation.

L'établissement de limites d'utilisation peut être controversé. Si le seuil physique est incertain, comme il l'est d'ordinaire, une question critique surgit : “Devons nous pécher par excès de prudence ?” Selon le principe de précaution, si le dommage potentiel de la sur-utilisation est substantiel (par exemple, les calottes polaires pourraient fondre), la limite d'utilisation devrait être fixée avec la sécurité comme guide principal. Comme la juriste et déontologue Carolyn Raffensperger l'a exposé, “l'idée fondamentale du principe de précaution est que nous empêchons les problèmes plutôt que que de nettoyer après.”

Le processus de protection et de soutien des Communs implique plusieurs étapes. Les Communs doivent d'abord être identifiés, on doit alors leur donner un statut juridique et une infrastructure institutionnelle. Dans certains cas, des limitations d'utilisation et de nouvelles sortes de droits de propriété peuvent être nécessaires. Il peut aussi être nécessaire de nommer des fiduciaires et d'acquérir des droits de propriété préexistants.

Une fois un Commun identifié, les droits de propriété établis et un régime approprié de gestion mis en place, les marchés peuvent entrer en jeu. Les entreprises maximisatrices de profit, qui dans le passé pouvaient librement prendre ou déverser dans le Commun, devront maintenant traiter avec des gestionnaires de propriété, qui peuvent limiter leur utilisation et faire payer aux entreprises les coûts précédemment externalisés.

Il y a un dernier principe que je devrais mentionner et c'est le principe “pollueur-payeur”. Ce principe a été approuvé par pratiquement tous les économistes dans le monde, et la raison devrait en être évidente. Cela ferait une différence énorme si ce principe était réellement incorporé dans le système d'exploitation de l'économie. Les coûts de l'utilisation des combustibles fossiles, du blanchissement par le chlore, de la pulvérisation des pesticides, du transport à longue distance et de beaucoup d'autres processus diminuant les Communs augmenteraient immédiatement, rendant ainsi l'énergie propre, le recyclage, la production locale de nourriture bio et les autres processus soutenant les Communs immédiatement plus compétitifs.

Oui, les prix de beaucoup de choses que nous achetons augmenteraient aussi, mais si l'argent que les pollueurs paient est recyclée vers les propriétaires de Communs, ce qui signifie à chacun d'entre nous, en moyenne les consommateurs ne seraient pas pénalisés. Qui plus est, si les dividendes sont égaux, les consommateurs qui passent aux produits moins polluants s'en sortiront mieux — c'est-à-dire que leurs dividendes excéderont ce qu'ils versent en prix plus élevés. En revanche, ceux qui utilisent les produits les plus polluants (et par conséquent utilisent le plus les puits communs rares) payeront pour ce privilège — c'est-à-dire que leurs coûts plus hauts excéderont leurs dividendes. Bref, la pollution totale diminuera, les bons comportements individuels seront récompensés et l'argent s'écoulera des sur-utilisateurs des Communs vers les sous-utilisateurs (ce qui se traduit d'habitude en “des riches vers les pauvres”). Tout cela au moyen d'un simple ajustement des droits de propriété. Pas de nouvel impôt ou de nouvelle bureaucratie gouvernementale nécessaire.

Le tableau ci-dessous récapitule cette discussion sur les régimes et règles des Communs.

RÉGIMES MODERNES DES COMMUNS

ACCÈS LIBRE
(Stationnement gratuit)

PAS D'ACCÈS
(Stationnement interdit)

ACCÈS LIMITÉ
(Stationnement : 5 $)

Principes directeurs

Tous les types :
Les générations futures, les non-humains, ont des participations

Principe de précaution (pécher par excès de prudence)

Plus on est de fous plus on rit

Aucune utilisation
(ou utilisation minimale inoffensive)

Principe Riverain (utiliser, mais ne pas diminuer)

Les pollueurs payent pour l'utilisation

Revenu placé dans une fiducie

Revenu utilisé pour des buts communs, des dividendes, des héritages

Une personne, une part

Règles de Gestion et Outils

Accès libre à tous

Règles et protocoles partagés

Droits d'auteur/brevets courts avec financement public

Lois anti violation de propriété

Aucun déversement de toxiques ou perturbateurs systémiques

Vente de licences ou permis

Facturation de droits ou péages

Systèmes de plafonnement et d'échanges de droits d'émission avec droits de propriété à une fiducie

Servitudes de protection

VARIANTE CAPITALISTE

Droits d'auteur/brevets longs

Systèmes de plafonnement et d'échanges de droits d'émission avec droits de propriété aux pollueurs

EXEMPLES

Internet

Rues et routes peu fréquentées

Culture

Science

Ondes hertziennes (potentiellement)

Zones sauvages

Atmosphère

Écosystèmes comme puits

Eau, Pêcheries

Rues et routes encombrées

Ondes hertziennes (à présent)

Modèles dans le Monde Réel

Il est temps de passer maintenant de ce qui a été une argumentation assez abstraite à des exemples concrets. Beaucoup d'entre eux sont mentionnés dans le rapport que j'ai cosigné, L'État des Communs 2003/04, disponible sur www.onthecommons.org. Ces modèles sont les exemples d'institutions existantes — des fiducies d'une forme ou d'un autre — qui préservent et gèrent une propriété au nom de larges classes de bénéficiaires.

Les State land trusts (propriétés foncières d'État) ont existé depuis 1787, quand le Congrès a exigé des territoires de l'ouest qu'ils réservent des terres pour des “écoles communes.” Aujourd'hui plus de 75 millions d'hectares sont détenus en fidéicommis par des États. Beaucoup de ces terres sont louées pour le bois de construction, le pâturage, ou la production de pétrole, les revenus allant aux écoles publiques.

Le Texas Permanent School Fund (Fonds Scolaire Permanent du Texas) possède les terres submergées le long de la Côte du Golfe du Mexique. Les revenus des licences du pétrole et du gaz offshore ont lancé le Fonds en 1954. Les revenus de placements vont aux écoles locales.

L'Alaska Permanent Fund (Fonds Permanent d'Alaska), lancé dans les années 1970, ressemble à un compte d'épargne commun pour tous les habitants de l'Alaska. La mise de fonds initiale est venue des licences du pétrole sur les terres de l'État et a été placée dans une fiducie au bénéfice des citoyens de l'Alaska. Aujourd'hui un portefeuille diversifié de 27 milliards de $ paye un dividende annuel égal à chaque homme, femme et enfant d'Alaska. Le dividende de l'année dernière était de 1,540 $.

Le Marin Agricultural Land Trust (Propriété foncière agricole du comté de Marin) achète des servitudes de protection aux agriculteurs à l'aide de fonds privés et publics. Les agriculteurs continuent à posséder et exploiter leurs fermes, mais ils ne peuvent pas aménager la terre parce que la fiducie possède les droits de développement à perpétuité. Les servitudes fiduciaires préservent le paysage partagé et l'économie agricole (ndt : contre l'extension de l'agglomération de San Francisco).

Le Pacific Forest Trust (fiducie forestière du Pacifique] achète des servitudes de protection aux propriétaires forestiers privés. Les propriétaires peuvent continuer à récolter les arbres durablement, mais ils ne peuvent pas sur-couper et l'aménagement est interdit.

L'Oregon Water Trust (fiducie de l'eau d'Oregon) acquiert des droits sur l''eau précédemment alloués et les utilise pour augmenter le débit des rivières et ruisseaux.

L'Edwards Aquifer Authority (autorité de l'aquifère du plateau d'Edwards), qui gère l'aquifère d'où San Antonio, Texas, extrait son eau, limite les retraits d'eau souterraine et vend des permis d'extraction négociables.

Le Music Performance Trust Fund (fonds fiduciaire de représentation musicale) a été formé en 1948 par l'industrie musicale et le syndicat des musiciens. Un petit pourcentage des ventes de disques entre dans un fonds qui finance des concerts gratuits dans les écoles, les parcs et les hôpitaux. Les ventes de produits commerciaux soutiennent ainsi la culture vivante.

Le dernier modèle que je veux mentionner n'existe pas encore, mais j'espère ardemment que je le verrai de mon vivant. C'est la Fiducie du Ciel que je décris dans mon livre, Qui Possède le Ciel ? La Fiducie du Ciel, qui est basée sur le postulat que le ciel appartient à tout le monde et doit être tenu en fidéicommis pour les générations futures, fournit un exemple de la façon de prendre un Commun gigantesque, l'atmosphère, et de le gérer du point de vue de la conservation et de l'équité. Il requiert que les pollueurs achètent des permis d'émission à une fiducie représentant tous les citoyens. Le revenu de la fiducie peut être utilisé pour des buts publics et/ou être remboursé aux citoyens sous forme de dividendes égaux, à la façon de l'Alaska Permanent Fund.

Une étude par l'Office Budgétaire du Congrès a constaté que, de tous les systèmes de plafonnement et d'échanges de droits d'émission qui pourraient être utilisés pour réduire les émissions de carbone, la Fiducie du Ciel serait la plus facile à mettre en œuvre, aurait l'effet le plus positif sur les revenus des ménages et aboutirait au coût global le plus bas pour la société.

Un point clef ici concerne l'attribution des droits de pollution initiaux. Ce n'est pas seulement une question philosophique abstraite. Comme le carbone est si omniprésent dans notre économie, littéralement des milliers de milliards de dollars sont en jeu et le choix doit être fait de savoir si cet argent devrait s'écouler des pollués aux pollueurs ou vice versa. C'est un cas où le “droit divin” vaut beaucoup d'argent.

Certains des principes de la Fiducie du Ciel sont inclus dans le projet de loi McCain-Lieberman, nommé Climate Stewardship Act (loi de gestion responsable du climat), qui sera présenté au vote la semaine prochaine (ndt : rejeté par le Sénat en 2003, 2005 et 2007). Notre Président mettra sûrement un veto au projet de loi s'il devait passer, mais je considère que le fait qu'il atteigne le Sénat est un pas significatif vers une politique climatique rationnelle et équitable. [nde : Le projet de loi a obtenu 43 voix.]

Je mentionne ces modèles pour deux raisons : d'abord, pour montrer qu'il est possible de concevoir des institutions modernes qui peuvent préserver et partager un Commun de valeur et, deuxièmement, pour dépeindre une image de ce à quoi le vingt et unième siècle pourrait ressembler.

Au vingt et unième siècle que j'imagine, il y aurait un grand secteur commun peuplé par des milliers de fiducies comme celles que j'ai mentionnées. Les fiducies seraient aussi puissantes que les sociétés le sont aujourd'hui. Elles agiraient comme des protecteurs pour divers Communs ou, en d'autres termes, comme des mandataires pour les externalités que les marchés ignorent actuellement. Ils auraient des droits de propriété, une direction, de l'argent et des bénéficiaires — bref, autant de pouvoir que les sociétés qui peuplent maintenant le marché.

Le moteur principal de la productivité serait toujours les entreprises maximisatrices de profit et le marché, mais ce moteur serait maintenant tempéré par des mécanismes d'équilibrage automatiques, comme les régulateurs dans les machines à vapeur de James Watt, pour qu'ils ne puissent pas s'emballer comme ils le font maintenant. Il y aurait aussi un type de propriété commune qui disperse le revenu également, tout comme une propriété privée qui disperse le revenu de façon inégale.

Les caractéristiques clés des deux types de propriété apparaissent dans le tableau ci-dessous.

Privé

Commun

Transmissible :

Oui

Non

Droit imprescriptible universel :

Non

Oui

Expire à la mort :

Non

Oui

Propriété effective :

1 dollar, 1 part

1 personne, 1 part

Droits de vote :

1 dollar, 1 voix

1 personne, 1 voix

Générations futures :

Aucune participation

Participation légale

Non-humains :

Aucune participation

Participation légale

Objectif n° 1 de gestion :

Maximiser le profit à court terme

Préserver les actifs

Entité de gestion de base :

Société

Fiducie

Source de revenu principale :

Profits d'entreprise

Loyers et droits

Versement de dividendes* :

Oui

Oui (parfois)

* Paiements par part qui varient d'année en année selon la performance. Certaines, mais pas toutes, les fiducies de Communs verseraient des dividendes.

Les multiples avantages de cet élargissement des droits de propriété consisteraient en de grandes avancées dans la permanence, dans la démocratie, dans la culture populaire par opposition à celle d'entreprise et dans l'égalité économique.

Le travail principal de l'État dans tout ceci est de redéfinir les frontières entre les Communs et le marché — pour créer de nouveaux droits de propriété commune, transférer le droit divin de la propriété privée à la propriété commune et rendre presque aussi routinier de former et habiliter des fiducies préservatrices des Communs qu'il l'est de former et habiliter des sociétés maximisatrices de profit. De plus, certaines des nouvelles fiducies de Communs pourraient être quasi-publiques, comme le Social Security Trust Fund (Fonds fiduciaire de la Sécurité Sociale) et l'Alaska Permanent Fund, auxquels les élus nomment certains ou tous les fiduciaires.

Inégalité

Pour finir, je voudrais parler de Tom Paine et du problème de l'inégalité.

La perpétuation des inégalités est partie intégrante de la conception actuelle du capitalisme. à cause de la distribution biaisée de la richesse privée, une petite minorité auto-entretenue reçoit une part disproportionnée du revenu ne provenant pas du travail de l'Amérique. Si les droits de succession sont complètement abrogés, comme George Bush et la plupart des Républicains le veulent, nous aurons véritablement recréé une aristocratie permanente de la richesse, un des privilèges féodaux que la Révolution américaine a cherché à abolir.

Tom Paine était un homme étonnant qui a vécu une vie étonnante. Il est né en Angleterre quand les Communs étaient en train d'être enclos, il est venu en Amérique et a participé à la Révolution ici, puis il est parti en France à temps pour rejoindre la Révolution là bas.

Dans un de ses plus importants essais, “Justice Agraire,” écrit en 1790, il soutenait que comme l'enclosure des Communs avait séparé tant de gens de leur source principale de subsistance, il était nécessaire de créer un équivalent fonctionnel des Communs sous la forme d'un Fonds National. Voici comment il l'exprime :

Il y a deux sortes de propriété. Premièrement, la propriété naturelle, ou celle qui nous vient du Créateur de l'univers — comme la terre, l'air, l'eau. Deuxièmement, la propriété artificielle ou acquise — l'invention des hommes. "

Dans cette dernière, l'égalité est impossible; car pour la distribuer également, il serait nécessaire que tous aient contribué dans la même proportion, ce qui ne peut jamais être le cas.... L'égalité de la propriété naturelle est différente. Chaque individu dans le monde est né avec des prétentions légitimes sur cette propriété, ou son équivalent. [c'est moi qui souligne].

L'enclosure des Communs, continue-t-il, était nécessaire pour améliorer le rendement des cultures, mais “le monopole terrien qui a commencé par [l'enclosure] a produit le plus grand mal. Il a dépossédé plus de la moitié des habitants de chaque nation de leur héritage naturel, sans avoir pourvu pour eux, comme on aurait dû le faire, une indemnisation pour cette perte, et a ainsi créé une espèce de pauvreté et de misère qui n'existait pas auparavant.”

Le remède qu'il proposait était un fonds remarquablement semblable à l'Alaska Permanent Fund, si ce n'est qu'il était financé non par le revenu du pétrole, mais mais par des loyers fonciers payés par les propriétaires terriens. De ce fonds serait payé à chaque personne atteignant vingt et un ans la somme de quinze livres sterling (l'équivalent de plusieurs milliers de dollars d'aujourd'hui) “comme compensation en partie, pour la perte de son héritage naturel.” Une somme supplémentaire de dix livres par an serait payée à chaque personne de plus de cinquante ans, une idée qui présageait la Sécurité Sociale.

Cet essai, écrit il y a 213 ans, ne pourrait pas être plus opportun aujourd'hui. Sûrement notre énorme héritage commun — pas seulement la terre mais aussi l'atmosphère, le spectre électro-magnétique, nos ressources minérales, nos habitats et approvisionnements en eau menacés — peut produire une rente suffisante pour payer à chaque Américain de plus de vingt et un ans un dividende annuel modeste et à chaque personne atteignant vingt et un ans un petit héritage de démarrage dans la vie. Et souvenez-vous ce que j'ai dit plus tôt de la rente de rareté. Plus nous limitons l'utilisation des Communs, plus nous pouvons payer de dividendes, ainsi il y a un double bénéfice.

Si cela paraît dangereusement communiste, considérez le jeu de société familier Monopoly, le jeu capitaliste par excellence, où les joueurs achètent et vendent des propriétés et essayent de construire des monopoles. Mais le Monopoly a deux règles qui le rendent très différent du capitalisme tel que nous le connaissons aujourd'hui. D'abord, tous les joueurs reçoivent un montant égal de capital de départ. Personne ne commence sans le sou ou héritant de la Rue de la Paix ou de l'Avenue des Champs élysées. Et finalement, tous les joueurs reçoivent un dividende égal chaque fois qu'ils achèvent un tour du plateau. Ou considérez le sport professionnel — les ligues à but lucratif de base-ball, football et basket-ball. Chacune a un ensemble de règles conçues pour transférer de l'argent des équipes les plus riches aux plus pauvres et donner aux équipes perdantes le premier accès aux meilleurs nouveaux joueurs. Ces entreprises ont appris que trop d'inégalité nuit à tous. Les règles du Monopoly et du sport professionnel n'interdisent nullement l'énergie du marché. En fait, ils rendent le marché plus fort en le rendant plus juste et plus compétitif.

Dans une économie post-moderne et surproductive comme l'Amérique, il n'y a absolument aucune raison pour que chaque bébé ne soit pas le bébé d'un fonds de placement. Les héritages financés par des Communs et les dividendes financés par des Communs renforceraient notre économie de marché. De plus, ils corrigeraient les deux défauts systémiques dont j'ai parlé au commencement. D'une part, en limitant l'utilisation des Communs, ils diminueraient la pollution et la destruction de la nature. D'autre part, en distribuant le revenu de la propriété commune à tout le monde, ils compenseraient partiellement le mauvaise répartition des revenus de propriétés privées. Les Communs seraient de nouveau une source de subsistance pour tous, comme ils l'étaient aux temps pré-enclosures.

Maintenant, s'il y a des économistes dans le public, je voudrais vous engager dans une expérience de pensée. Je veux que vous réfléchissiez aux incitations. Actuellement il y a une incitation énorme à polluer parce que (a) on est libre et c'est gratuit de le faire et (b) personne ne profite si vous réduisez la pollution. Mais imaginez un système dans lequel les puits de pollution sont possédés en commun par des fiducies. Ces fiducies vendent un nombre fini de permis de polluer pour n'importe quoi de possible sur le marché. Et chaque Américain reçoit un dividende de ces fiducies — une personne, une part. Les fiduciaires ont le pouvoir de décider combien de permis vendre. En laissant de côté toutes les questions juridiques et écologiques comme la responsabilité fiduciaire des administrateurs envers les bénéficiaires futurs, ma question économique est double : dans quelles circonstances les fiduciaires devraient-ils vendre plus de permis et dans quelles circonstances les fiduciaires devraient-ils vendre moins de permis ?

Juste pour que personne ne se sente laissé à l'écart, voici une autre expérience de pensée pour n'importe qui ayant un petit sens des affaires : Imaginez que tous les écosystèmes critiques dans le monde — les océans, l'atmosphère, les forêts, les rivières, les bassins versants et ainsi de suite — appartiennent à une grande holding appelée Gaia, Inc., qui elle-même appartient à ses actionnaires sur une base de une personne, une action. Chaque écosystème est géré par une société séparée, mais toutes sont coordonnés par la holding globale. Chaque directeur d'écosystème a le droit légal de faire payer la rente de rareté pour l'utilisation limitée humaine ou d'entreprise de cet écosystème. La question commerciale est : Si Gaia, Inc., veut maximiser les dividendes à ses actionnaires, quelle stratégie devrait-elle suivre ? (Indice : Pensez à Gaia, Inc., comme un cartel comme l'OPEP dont l'actif n'est pas le pétrole, mais des écosystèmes essentiels.)

Il est important d'être clair sur ce que je ne suggère pas. Je ne suggère pas que nous supprimions le marché ou changions sa façon fondamentale de calculer. Bien au contraire, je crois fermement que nous avons besoin qu'un secteur de l'économie soit piloté par la maximisation du profit à court terme pour quelques-uns. Nous en avons besoin pour la productivité, pour la créativité, pour la vitalité et pour la liberté. Ce que je dis est que nous ne devrions pas confondre la façon de calculer du marché avec la façon de calculer de notre société entière. En tant que société nous avons des valeurs qui diffèrent de celles qui sont intégrées au marché ; donc, la façon de calculer du marché doit être équilibrée par d'autres façon de calculer, d'autres droits de propriété et frontières. Les limites de la nature doivent être respectées, aussi bien que les intérêts des générations futures, de ceux qui n'ont pas de propriété privée et des espèces non-humaines. Dans ce cadre — et, je le soutiens, seulement dans ce cadre — le marché peut prospérer indéfiniment.

Il est important de noter que sous cette sorte de système d'exploitation économique, les règles du marché seront toujours ce qu'elles sont aujourd'hui. Les PDG n'auront pas à changer leur conscience ; les affaires ne devront pas apprendre de nouvelles astuces. Ils seront toujours poussés par la maximisation du profit. Le résultat net sera toujours le résultat net. La grande différence du point de vue des affaires est que les coûts qui sont habituellement externalisés aujourd'hui seront, au contraire, habituellement internalisés. La nature et les générations futures seront représentées dans les transactions du monde réel et l'argent de ces transactions s'écoulera vers un large ensemble de "propriétaires", dont le pouvoir d'achat supplémentaire stimulera l'activité économique.

On prétendra sans doute que ce nouveau système d'exploitation dans lequel le marché et les Communs sont grossièrement sur un pied d'égalité réduira le Produit Intérieur Brut, fera baisser le marché boursier et coûtera des millions d'emplois. Des think-tanks de Washington élaboreront activement des études le "prouvant". Ma réponse sera de regarder la ville de Washington elle-même. Il y a une limite de hauteur : aucune construction ne peut être plus haute que le Capitole. Cette limite augmente la beauté de la ville sans d'aucune manière appauvrir son économie. Il en sera de même quand nous mettrons des limites sur d'autres sortes d'activités économiques, particulièrement si nous recyclons les rentes de rareté des Communs équitablement. Les marchés et les affaires et les travailleurs s'en porteront aussi bien. Ce qui est plus important, les gens dans leur ensemble et les autres espèce s'en porteront beaucoup mieux.

Conclusion

Ma génération — la génération née au milieu du vingtième siècle — a connu une fête magnifique. Nous avons consommé plus de ressources et avons créé plus de destruction environnementale que toutes les générations précédentes réunies. Nous laissons derrière nous une épouvantable pagaille pour nos enfants. Mais nous ne sommes pas encore tout à fait partis. Nous avons encore le temps de laisser une contribution. La question sur laquelle je réfléchis souvent est, “Quelle peut être la contribution de ma génération ?”

Les espèces que nous avons exterminées ne pourront jamais revivre. Les produits chimiques nocifs que nous avons introduits dans la biosphère ne peuvent pas être enlevés de notre vivant. Les forêts et les zones humides que nous avons détruites prendront longtemps pour guérir. Je regrette que nous ne puissions pas invoquer un Sorcier qui, d'un mouvement de la main, pourrait mettre instantanément fin au chaos que nous avons déchaîné. Comme cela n'arrivera pas, la meilleure contribution que nous puissions laisser, il me semble, est un plan pour incorporer la permanence et une plus grande égalité dans notre système économique incontrôlé.

Je pense que cela peut être fait. Mes remarques d'aujourd'hui sont une tentative dans cette direction. Je pense que nous avons l'ingéniosité et les outils pour le faire. Les outils de base sont familiers : droits de propriété, fiducies, limites, prix et dividendes. Nous avons aussi quelques principes éprouvés pour nous guider : le principe riverain, le principe pollueur-payeur, le principe de précaution et la notion séculaire des Communs. Nous pouvons étendre le principe d'une personne, une voix, à une personne, une part. Nous pouvons redessiner les frontières entre les Communs et le marché et nous pouvons transférer le droit divin, entièrement ou partiellement, de la propriété privée à la propriété commune.

Cela prendra, bien sûr des décennies pour construire un secteur commun fort. Mais du moins nous pouvons voir où nous devrions aller et comment nous pouvons y arriver — un pas à la fois vers la révérence pour les Communs, un précédent juridique à la fois, une institution à la fois. Je propose que nous commencions maintenant.

Période des Questions

J'apprécie la créativité de votre concept de construire un contrepoids au marché. Ce qui me manque dans votre analyse est un examen plus précis du marché en soi. Je ne suggère pas que le marché soit dans tous les cas une mauvaise chose, mais je distinguerais, par exemple, entre la ferme familiale et la ferme industrielle, comme il me semble que E. F. Schumacher le faisait. Je voudrais aussi vous faire considérer combien il faudrait faire d'effort vers une peine de mort pour délit d'entreprise — une peine de mort d'entreprise, je veux dire, bien sûr.

En Californie nous avons la loi “trois coups et vous êtes sorti” (ndt : la troisième peine de prison est à vie), qui s'applique à ceux qui sont pris à fumer de la drogue ou autres, pourtant les sociétés avec quinze condamnations contre elles ne sont pas sorties. Manifestement, ce n'est pas juste.

J'ai été impliqué pendant de nombreuses années dans des efforts pour diriger une activité socialement responsable et essayer généralement de rendre toutes les activités plus socialement responsables. Je pense que ce sont des efforts louables, mais je suis en réalité arrivé à la conclusion qu'ils sont condamnés à échouer, ou qu'ils ne sont pas suffisants. Oui, vous pouvez essayer de mettre à mort les vraiment mauvaises entreprises, mais les Communs seront toujours ravagées. Autrement dit, vous devez faire quelque chose qui est extérieur à l'entreprise. Je suis plus ou moins enclin à laisser les sociétés être des sociétés. Oui, ça serait sympa de les rendre un peu plus douces, mais ce qui les rendra plus douces est de limiter le dommage qu'ils peuvent faire en leur mettant des limites externes. Ça a un rapport avec l'internalisation des externalités ; s'ils doivent payer pour la pollution, ils vont vouloir payer le moins possible. La technologie passera de la combustion des combustibles fossiles à des sortes d'énergie propres et renouvelables simplement parce que les entreprises réagiront à ces incitations et ces limites.

J'ai souvent des disputes avec des gens qui pensent que nous pouvons réformer les entreprises et je ne voudrais certainement décourager personne d'essayer, mais je pense que la vraie solution est de créer le secteur commun.

Votre référence à la fête magnifique que nous avons connue me fait penser que vous pourriez avoir lu le livre récent de Richard Heinberg, La Fête Est Terminée. Si ce n'est pas le cas, je vous le recommande.
Ma préoccupation est votre confiance dans la fiducie et la disposition d'un dividende citoyen. Ce que je préférerais faire est de trier ce qui doit être public et ce qui doit être privé. Je voudrais voir l'élimination totale de l'impôt sur le revenu, qui cause tant de malhonnêteté et d'inefficacité et d'autres problèmes et son remplacement par la rente de rareté, dont nous savons maintenant qu'elle atteint facilement plus de 30 pour cent du Produit Intérieur Brut et peut-être même 40 pour cent. En collectant toute cette rente économique, nous pourrions financer les services du gouvernement que nous devrions raisonnablement avoir et probablement offrir en plus un peu de dividende citoyen. Pour moi c'est une façon beaucoup plus efficace d'utiliser le mécanisme des prix pour allouer les ressources.

Je reconnais les idées d'Henry George dans ce que vous dites et elles me sont très sympatiques. Néanmoins, je pense de façon incrémentale, et je ne voudrais pas supprimer l'impôt sur le revenu. Je voudrais le rendre plus progressif dans le futur proche. Et je ne voudrais certainement pas supprimer les droits de succession, ce qui je pense est critique. En général, cependant, j'aime votre idée.

Je suis intéressé particulièrement dans les Communs créatifs, illustrés par le partage ouvert des idées que vous avez mentionné, et par la manière dont les découvertes scientifiques et l'expression artistique d'aujourd'hui sont debout sur les épaules des efforts scientifiques et artistiques du passé. Je suis inquiet au sujet des violations des Communs intellectuels de la propriété intellectuelle comme les copyrights, les brevets et la protection jalouse des droits d'auteur. Comment pouvons-nous protéger cet aspect des Communs et collaborer plus énergiquement en tant qu'êtres créatifs ?

Dans mon rapport il y a une discussion sur cet aspect des Communs; je n'avais pas le temps de l'évoquer dans mon exposé. La Constitution autorise le Congrès à créer des brevets et des droits d'auteur pour des termes limités. Le point de vue des Fondateurs était que l'on donnerait des droits aux auteurs pendant quatorze ans ou une relativement courte période de temps, et qu'ensuite tout entrerait dans le domaine public. Il y a vraiment besoin d'une façon de remercier les artistes et créateurs, mais leur travail ne devrait pas rester privé indéfiniment.

Ce qui est arrivé, particulièrement dans les vingt ou trente années passées, est que les droits d'auteur ont été prolongés à maintes reprises et ils sont maintenant essentiellement perpétuels. Une des forces clefs derrière ceci a été la Société Disney parce qu'ils voulaient garder Mickey Mouse privé pour toujours. Bien sûr, Disney vole librement des histoires comme Blanche-Neige et Pinocchio dans les Communs, puis les privatise et les soumet à des copyrights pour toujours. La même chose est en train de se produire avec Internet et avec les brevets. C'est une tendance sinistre, et je suis complètement d'accord avec vous que nous devons ranimer et renforcer les Communs culturelles et scientifiques. Je crois qu'il y a un homme dans la salle, Lewis Hyde, qui est en train d'écrire un livre précisément sur ce sujet.

Merci pour votre vision. Ma question concerne la révérence. La vision que vous avez présentée est basée sur un transfert de la révérence du capital aux Communs. Quand je regarde les centres commerciaux et les étudiants avec lesquels je vais à l'école et le reste du monde, je vois une révérence si profonde et un engagement tel en faveur du marché que je ne vois pas ce changement arriver. Comment encourager ce changement dans la révérence ? Sans cela, est il possible que même une partie de votre vision se produise ?

La révérence est une question d'éducation et de culture. Le changement est un processus lent, mais je pense vraiment qu'il est en route. Oui, il faut remonter la pente et se battre contre des forces énormes : budgets de publicité, centres commerciaux, tout cela. Il faut répéter notre message. Il faut que nous ayons plus de gens comme Thomas Berry et nous devons faire la promotion de son message.

Je voulais juste indiquer que la musique est revenue dans les Communs dans les quelques dernières années, grâce à Napster et beaucoup de ce qui a suivi. Les gens peuvent maintenant obtenir à peu près toute la musique qu'ils veulent sans droit d'auteur ou autres restrictions légales. Je me demande si beaucoup d'autres propriétés intellectuelles pourraient suivre ce chemin, si les technologies libéreront simplement la propriété intellectuelle du royaume des marchandises sans que nous fassions quoi que ce soit.

Il est vraiment nécessaire de trouver une façon d'indemniser les artistes, donc c'est un problème délicat, mais la technologie aide certainement .

Remarques de Conclusion

Je ne sais pas vraiment comment ajouter à ce qu'Andrew Kimbrell et le Père Thomas Berry ont dit avec tant d'éloquence. Ce que je pense est combien ça paraît écrasant quand nous considérons tous les changements radicaux qui doivent être faits et combien il y a apparemment peu de temps pour les faire. C'est déprimant, cela peut paralyser et ma façon de prendre cela en compte c'est de dire oui, nous nous dressons contre cet incroyable force destructrice ; oui, nous devons changer notre conscience, nous devons changer la loi, nous devons changer l'économie, nous devons changer l'éducation et tout et tout. Il y a tant à faire. Mais, que nous puissions ou non faire une différence, nous devons agir comme si nous allions faire une différence. Nous devons croire que nous le ferons et cela pourrait bien arriver. Le changement arrive de façons surprenantes parce qu'il est non-linéaire, et un jour il peut y avoir une situation où il arrive subitement. Il n'y a aucune façon de prévoir quand ou comment, donc il est crucial que nous agissions comme s'il allait arriver.


Peter Barnes a été le co-fondateur et le président de l'opérateur téléphonique socialement responsable Working Assets. En 1995 il a été nommé Entrepreneur Social de l'Année pour la Californie du Nord pour sa direction novatrice. Mais même avant son rôle fructueux comme entrepreneur social, Barnes s'intéressait aux Communs et à leur forme adéquate de propriété. Quand il était journaliste, il a couvert des problèmes de propriété dans ses articles pour Newsweek, The New Republic, The New-York Times et d'autres médias. En 1973 il a organisé une conférence déterminante sur le sujet de “Qui Possède la Terre ?” Maintenant retraité de Working Assets, son livre de 2001 chez Island Press est intitulé Qui Possède le Ciel ? Nos Actifs Communs et l'Avenir du Capitalisme (www.skybook.org). Le livre est un regard remarquable sur l'avenir de notre économie, un avenir dans lequel nous pouvons conserver les vertus du capitalisme en atténuant ses vices. Il est actuellement au travail sur "Ce que Nous Partageons : Vers une Théorie Moderne des Communs." Il a cosigné avec des collègues du Tomales Bay Institute, L'État des Communs 2003/04 : Rapport aux Propriétaires (www.onthecommons.org).

Peter Barnes peut être joint au :

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