traduit à partir de www.cesc.net/radicalweb/radicalconsultation/manuscripts/regionalism.pdf par Michel Roudot

Communauté et Démocratie

Edouard Goldsmith

9/2000

La famille a toujours été, jusque récemment, l'unité de base de la vie sociale, mais il s'est aussi agi de la famille étendue et a inclus les gens qui vivaient sous le même toit, bien que n'ayant pas nécessairement des relations de sang. Ceci contraste avec la famille nucléaire tronquée du type que nous connaissons aujourd'hui.

De plus, la famille du passé était une partie intégrante de la communauté dans laquelle tous ses membres vivaient et travaillaient - et dans laquelle elle se fondait pratiquement, plutôt que d'exister comme un îlot de solidarité dans une énorme non-société indifférente comme c'est le cas aujourd'hui.

Pour cette raison et d'autres semblables nous devrions surmonter notre préjugé actuel contre cette institution irremplaçable, que nous avons tendance à voir comme tyrannique et claustrophobique, pourvue de vertus qui ne sont vantées que par les politiciens de droite sans coeur, dont la politique principale - aussi ironique que cela puisse paraître - ne peut mener qu'à une nouvelle désintégration sociale.

On peut dire à peu près la même chose de la communauté qui est aussi maintenant tombée en défaveur. Elle est une unité de base, on pourrait dire naturelle, de l'organisation sociale - ce qu'elle doit clairement être puisque nous avons vécu dans des familles étendues et des communautés pendant le cours entier de notre évolution biologique, psychologique et cognitive.

Alexis de Tocqueville, ce grand analyste de la démocratie urbaine de 'Nouvelle Angleterre', voyait la communauté comme naturelle, en fait un don de Dieu. ` L'homme peut créer des royaumes, ' écrivait il, ` mais la communauté semble avoir surgi de la main de Dieu ' (de Tocqueville, 1981).

Significativement, il semble que ce soit seulement aux niveaux du ménage et de la communauté que la plupart des fonctions sociales et économiques clefs peuvent être efficacement accomplies - quoique, bien sûr, pour en être capables ces unités sociales clés doivent être suffisamment cohésives, imprégnées d'une vue du monde appropriée et en possession des ressources nécessaires pour les accomplir.

Prenons un exemple évident. Un des problèmes les plus sérieux auxquels nos sociétés font face aujourd'hui est une augmentation massive de toutes sortes d'aberrations sociales, comme le crime, la délinquance, la toxicomanie, l'alcoolisme et la violence en général. Ces problèmes sont remarquables par leur absence dans les sociétés qui n'ont pas été entièrement atomisées. Par exemple, un visiteur pourrait se promener dans les quartiers les plus pauvres de Calcutta, où de grands nombres de gens sont sans abri et dorment sur le trottoir, dans une sécurité presque totale.

S'il en est ainsi, c'est en grande partie parce que ces gens ne souffrent pas de la même privation sociale épouvantable qu'ils subiraient dans une société atomisée. Ils peuvent être très pauvres et même affamés, mais les vies qu'ils mènent dans leurs groupes familiaux ont du sens pour eux - ce qui est de moins en moins le cas des vies menées aujourd'hui par la plupart des gens dans les villes du monde industriel.

Dans une communauté traditionnelle, l'ordre social est aussi efficacement entretenu par une force extrêmement puissante : celle de l'opinion publique, reflétant les valeurs traditionnelles - et le crime et les autres aberrations sociales sont réduites à un minimum.

On nous a appris à considérer la pression de l'opinion publique comme une intrusion intolérable dans nos vies. Un des grands avantages de devenir un habitant anonyme d'une grande ville moderne est que cela nous ` libère ' de ` la tyrannie de l'opinion publique ' qui nous impose toutes sortes d'obligations envers notre famille, notre communauté, la société et l'écosystème.

Mais, personne n'a encore inventé une stratégie alternative pour contrôler le crime et les autres aberrations et ainsi pour entretenir l'ordre social. L'état peut engager de plus en plus de policiers, dépenser des milliards dans un système juridique de plus en plus complexe et construire de plus en plus de prisons, mais tout cela a très peu d'effet - et, en tout cas, ce n'est que le moyen de masquer les symptômes d'une maladie sociale, que de tels expédients ne peuvent servir qu'à perpétuer, en la rendant un peu plus tolérable.

Aujourd'hui, inutile de le dire, comme l'économie mondiale marginalise de plus en plus de gens, cette maladie ne peut qu'empirer et s'étendre aux régions du monde qui ont réussi, jusqu'à présent, à rester relativement peu affectées. On pourrait dire pratiquement la même chose des autres problèmes sérieux qui confrontent notre société moderne comme la pauvreté, la sous-alimentation, la destruction de nos ressources naturelles, l'explosion démographique et cetera.

Si le crime et les autres aberrations sociales peuvent seulement être traités à un niveau communal, il doit en être de même du gouvernement démocratique. Si la démocratie est ` le gouvernement par le peuple pour le peuple ', il est difficile de considérer comme vraiment démocratique le type de système politique sous lequel nous vivons, dans lequel les individus limitent leur contribution à se gouverner eux-mêmes en votant seulement tous les cinq ans pour un candidat sur la conduite politique duquel ils n'ont, jusqu'à l'élection suivante, absolument aucun contrôle.

C'est particulièrement le cas aujourd'hui, où la world company a maîtrisé l'art d'influencer le résultat des élections par des campagnes de communication massives et de plus en plus perfectionnées et où ses intérêts, plutôt que ceux des gens qui les ont élus, sont maintenant partout représentés par les gouvernements.

Si le gouvernement doit être vraiment ` par le peuple ', alors le peuple doit participer lui même au travail quotidien du gouvernement et ce n'est clairement pas au niveau national, sans parler du niveau mondial, qu'il leur est possible de le faire, mais seulement au niveau local entre gens qui se connaissent, se voient régulièrement et se voient comme des membres de la même communauté.

Jefferson insistait aussi toujours sur ce que seule la participation face à face dans le gouvernement municipal permet aux citoyens de subordonner ce qu'ils considèrent être leurs intérêts personnels immédiats au bien public. Il préconisait que l'état devait être décomposé en quartiers locaux d'une taille permettant la pleine interaction et la participation des citoyens à leur propre gouvernement (Coleman, 1994).

De Tocqueville, comme les Grecs antiques, ` identifiait la liberté avec l'auto-détermination et voyait la démocratie comme stimulant la liberté, précisément parce qu'elle permettait aux gens de participer au gouvernement municipal ' (Boesche, 1987, cité par Hultgren, 1994). Il notait également comment, dans les démocraties urbaines 'de Nouvelle Angleterre' où de telles conditions étaient en grande partie respectées, ` la coopération de chaque personne à ses affaires assure son attachement à ses intérêts; le bien-être qu'elle lui apporte garantit son affection; et son bien-être est le but de ses ambitions et de ses efforts futurs (Herith, 1986, cité par Hultgren, 1994).

Le système de gouvernement suisse peut aussi fournir un modèle. Il a toujours été basé sur la commune ou gemeinde, qui est en grande partie autonome et auto-gouvernée. Traditionnellement, elle décide des taxes à payer et de la façon dont la communauté dépense l'argent qui lui est alloué. Elle supervise aussi activement l'administration communale, dont elle peut rejeter les propositions et les dépenses, et s'occupe de sujets tels que le service public, l'éducation primaire, la police locale et l'aide sociale pour les pauvres et les malades. Les décisions réellement importantes sont prises par l'assemblée libre des citoyens.

De façon significative, la commune existait bien avant les cantons dans lesquels la confédération est maintenant divisée. Les communes situées dans une vallée particulière s'unissaient de temps en temps pour former des organisations lâches ou des alliances. Cependant, c'est seulement avec les conquêtes Napoléoniennes au début du 19ème siècle que celles ci ont été élevées au rang de cantons et encore plus tard qu'ils ont été liés ensemble pour former la confédération helvétique. Même alors, le gouvernement central a traditionnellement eu relativement peu de pouvoir, en partie parce qu'il est seulement élu pour une année et en partie aussi parce que sa composition politique doit refléter celle du Parlement, ce qui limite sérieusement les changements qu'il peut provoquer.

Malheureusement, ce système de gouvernement ne peut pas survivre au développement économique, qui implique nécessairement d'abandonner l'autosuffisance locale et de transformer ce qui était autrefois des communes auto-gouvernées en cités-dortoirs maintenant incapables de se diriger elles-mêmes. Et effectivement, dans les temps récents il y a eu une chute régulière du nombre de gens qui participent aux assemblées locales et alors que le pouvoir a autrefois résidé dans les communes, c'est de plus en plus le gouvernement confédéral et les grandes sociétés qui contrôlent la vie économique et sociale du pays.

Maintenant que les gouvernements, en signant ' l'Uruguay Round du GATT ' et en fondant 'l'OMC', ont délégué la tâche de mener leurs affaires économiques à ce qui est, en fait, un gouvernement mondial, les décisions seront prises par un corps de personnes qui restent à distance de ceux qui sont affectés, qui sont indifférents aux intérêts réels des gens ordinaires et qui sont subordonnés aux intérêts des sociétés transnationales. Autrement dit, nous nous serons encore plus éloignés de ` la vraie démocratie '.

Pour cette raison seule, mais il y en a beaucoup d'autres, la vraie démocratie - sous la forme d'un gouvernement par une association lâche de communautés en grande partie auto-gouvernées - est seulement possible si l'économie est structurée de la même manière.

La localisation politique exige la localisation économique (le corollaire, bien sûr, étant aussi vrai) et la conduite de l'économie est une fonction de plus qui doit être accomplie principalement au niveau de la communauté.

Ceci est le deuxième article d'une série de trois publiés à l'origine comme ' le Dernier Mot ' dans ' le Procès de l'économie Mondiale et Pour un Virage vers la Localisation ' édité par Edouard Goldsmith et Jerry Mander et publié par Earthscan en 2001 (ISBN 1 85383 742 3, 328 pages, 14.95 £). Le premier article de la série a pour titre ' S'orienter vers la Localisation ' et le dernier article ' Auto Suffisance '.