traduit à partir de www.vtcommons.org/journal/issue-10-february-2006/common-wealth-common-property-peter-barnes) par Michel Roudot

Du Bien Commun à la Propriété Commune

Peter Barnes

Février 2006 (Vermont Commons)

Nous savons tous ce qu'est la richesse privée, même si nous n'en avons pas beaucoup. C'est la propriété que nous héritons ou accumulons individuellement, y compris nos parts dans des sociétés et des fonds communs de placement. Quand le Président Bush parle d'une "Société de Propriétaires," c'est cette sorte de richesse qu'il a à l'esprit.

Mais il y a une autre sorte de richesse qui n'est pas aussi bien connue : notre bien commun. Chacun d'entre nous est le bénéficiaire indivis d'un héritage énorme. Cet héritage partagé inclut l'air et l'eau, les habitats et les écosystèmes, les langues et les cultures, la science et la technologie, les systèmes sociaux et politiques et bien d'autres choses. Bien que la valeur de ces cadeaux divers soit difficile à calculer, on n'exagère pas en disant qu'ils valent des milliers de milliards de dollars. En fait, selon Friends of the Commons, leur valeur globale excède probablement celle de tout ce qui est possédé à titre privé.

Il y a, bien sûr, une différence qualitative entre le bien commun et privé. La richesse privée est normalement propriétisée, le bien commun ne l'est généralement pas. Vous pouvez vendre les parts d'un capital privé et partir avec l'argent; vous ne pouvez pas le faire avec des parts de ciel. Nous humains avons une longue tradition de jouissance des cadeaux de la nature et de la société sans les posséder juridiquement.

Il serait triste d'arrêter ceci, ou toute autre bonne tradition. Mais dans certains cas, l'arrêter est nécessaire, pour la raison suivante : le plus gros du bien commun sans propriétaires est en grave danger. Il est en danger tant de destruction physique que d'appropriation par des sociétés privées (ceci entraînant souvent cela). L'air non possédé est pollué; les gènes non possédés sont brevetés. À cause de la recherche incessante de croissance du capital, toute chose de valeur qui n'est pas juridiquement boulonnée sera tôt ou tard accaparée ou consommée.

Nous pourrions compter sur le gouvernement pour protéger notre bien commun, mais ce serait mal placer notre confiance. Le Gouvernement est, la plupart du temps, la boniche du capital dans la maximisation des profits, et l'externalisation des coûts. Il est bien mieux, quand nous en avons la possibilité, de verrouiller le bien commun sous forme de propriété commune, qui puisse être transmise, non diminuée, d'une génération à la suivante.

Quels sont les avantages de le faire ? Les droits de propriété sont des inventions puissantes de l'humanité. Dans le principe, ce sont des accords sociaux pour accorder à certaines personnes (les propriétaires) des privilèges exécutoires. Une fois établis, ils sont constitutionnellement protégés et très difficile à retirer. Si les propriétaires privés utilisent les droits de propriété pour protéger leurs richesses, pourquoi ne ferions nous pas de même en tant que propriétaires communs ?

Comme les droits de propriété sont aussi puissants, c'est en grande partie par eux que les économies sont modelées. Les économies féodales étaient basées sur de grandes propriétés transmises des seigneurs à leurs fils aînés, cohabitant avec des communaux qui rendaient possible la vie des roturiers. Quand le capitalisme est apparu, les communaux ont été enclos et une quantité de nouveaux droits de propriété ont été inventés, presque tous conçus pour conférer quelque avantage aux propriétaires de capital.

La propriété commune — par opposition au bien commun et à la propriété privée ou publique — a une histoire longue bien que peu connue. Fréquemment c'est la propriété appartenant à une communauté — une tribu, un village, un peuple. Les droits individuels à profiter de la propriété dépendent de l'appartenance. Si vous êtes né dans la communauté, votre part est un droit imprescriptible. Au contraire, si vous quittez la communauté ou mourez, vous perdez vos droits. Les parts ne sont pas vendables à des étrangers comme c'est le cas des actions.

La propriété commune est normalement gérée de façon indivisible au nom de la communauté entière. Typiquement aussi, les générations futures aussi bien que l'actuelle sont prises en considération par les gestionnaires. Un exemple classique est le pâturage commun médiéval; sa survie pendant des siècles, contrairement au mythe de 'la tragédie', est l'exemple fondamental d'une gestion durable.

Quelles formes la propriété commune pourrait-elle prendre aujourd'hui ? La réponse, comme vous pouvez vous y attendre, est variée : les servitudes environnementales et la propriété foncière intégrale (land trust), des droits imprescriptibles à leur revenu (façon Alaska Permanent Fund), le "copyleft" qui permet la reproduction sans but lucratif (á la façon des licences Creative Commons), les garanties d'accès libre et de "transporteur public", les permis de polluer, les "monnaies temps" et autres. Certains de ces droits peuvent être négociables, d'autres non. La gestion de ces droits serait placée dans les mains de fiducies, de sociétés à but non lucratif et d'entités hybrides de diverses sortes. Les gestionnaires seraient animés non par la maximisation des profits, mais selon des critères à base communautaires. J'en proposerais quatre en tête : (1) préserver les actifs communs, tels que les dons de la nature, pour les générations futures; (2) vivre du revenu des dons partagés, et pas du principal; (3) distribuer le revenu des dons partagés sur la base d'une personne, une part; et (4) plus on est de fous plus on rit.

Des droits de propriété commune de ce type représenteraient le côté "nous" de la psyché humaine, de même que les droits de propriété privée représentent notre côté "moi". Les deux faces, j'estime, doivent être représentées plus ou moins également dans notre économie. Les droits de propriété commune manifesteraient aussi notre relation avec les écosystèmes, les générations futures et les espèces non-humaines, des intérêts cruciaux qui, à présent, n'ont aucune influence sur les marchés.

Même si la raison principale pour laquelle nous avons besoin de la propriété commune est de sauver la planète, il y aurait aussi des avantages annexes. Ceux-ci comprennent un revenu inconditionnel pour tous, une culture plus vivante et une démocratie moins faussée. Ces avantages apparaîtraient parce qu'un bien commun bien géré ajoute au bien-être de plusieurs façons inaccessibles à la propriété privée.

Le résultat final est le suivant : une vraie Société de Propriétaires protégerait autant notre richesse privée que notre bien commun. Il y a peu de chances que George Bush la mette en oeuvre, mais avec le temps, nous le pouvons.