traduit à partir de http://www.usu.edu/sanderso/multinet/lud1.html par Michel Roudot

Qu'est-ce qu'un Luddiste ?


En 1812 l'Angleterre était dans une période de troubles - Napoléon gouvernait l'Europe et les troupes anglaises étaient engagées dans une guerre lointaine, confuse et stérile en Amérique du Nord. Au même moment dans les cités, les villes et les campagnes d'Angleterre la révolution industrielle réorganisait radicalement la nature fondamentale des rapports économiques et sociaux traditionnels. À Nottingham, Lancashire, Leeds et quelques autres parties de l'Angleterre, ces changements rencontrèrent une résistance acharnée et sporadiquement bien organisée.

Pendant au moins trois cents ans les tisserands de la ville anglaise de Nottingham et des environs, quoique roturiers, jouissaient du statut et des avantages accordés aux artisans d'art. Les tisserands du Nottinghamshire produisaient le lacet et les bas qui dominaient les marchés anglais et qui étaient des articles importants du commerce d'exportation. Ces produits étaient faits à la main, souvent dans la maison du tisserand. Aujourd'hui, on appellerait cela une industrie domestique. Les tisserands travaillaient principalement comme entrepreneurs indépendants, pas comme employés d'un propriétaire d'usine. L'apprentissage, la tradition familiale et les valeurs de la communauté garantissaient un produit de haute qualité. Les tisserands de Nottingham pouvaient se permettre de pratiquer leur métier avec soin; les prix de leurs produits, aussi bien que ceux de leurs achats et des moyens d'existence de leurs familles ne variaient pas avec les conditions du marché, mais étaient établis par la tradition. Et les tisserands avaient la protection complémentaire d'une antique charte royale limitant certaines sortes de production textile en Angleterre à un rayon de dix lieues de la ville de Nottingham. Les tisserands et leurs familles étaient raisonnablement à l'abri dans leur style de vie modeste.

Dans les premières années du 19ème siècle les métiers à bas et les débuts de l'automatisation du métier à tisser mécanisé menacèrent ce mode de vie traditionnel. Comme le nouvel équipement était cher, les tisserands ne pouvaient pas se permettre de l'acheter eux-mêmes et l'équilibre des forces bascula des tisserands en faveur des propriétaires d'usine. Simultanément le gouvernement Tory adopta une politique économique de laissez-faire. Pour les tisserands, cela signifiait qu'on leur demandait de supporter une diminution drastique de leur revenu et de se soumettre à l'atmosphère disciplinée et désagréable d'une usine, alors que le prix de leur alimentation, de leur boisson et des autres nécessités de la vie augmentait. Les tisserands se plaignirent amèrement que les machines fabriquaient en masse des produits d'une qualité honteusement inférieure. Naturellement, les tisserands virent dans la nouvelle technologie l'outil le plus puissant de leur nouvel oppresseur, le propriétaire d'usine. Un outil vulnérable.

La légende veut que vers cette époque, un "faible d'esprit" du nom de Ned Ludd ait cassé deux métiers à bas d'une usine de Nottingham. Bien sûr il ne l'avait pas fait exprès et on avait difficilement pu le punir pour son acte innocent de maladresse. Dorénavant, quand un propriétaire d'usine oppressif trouvait une de ses coûteuses pièces de machinerie brisée, les dégâts étaient commodément attribués au pauvre Ned Ludd.

Pendant une courte période culminant au printemps de 1812, inspirés peut-être par la Révolution Française et les écrits de Thomas Paine, les tisserands s'organisèrent en quelque chose d'apparenté à une armée de guérilla et prirent le contrôle substantiel du territoire près de Nottingham et de plusieurs districts voisins. Leur armée était une armée secrète. Ils avaient la maîtrise de la nuit, ils connaissaient les sentiers dérobés entre les villages. Quand ils étaient menacés par les troupes gouvernementales ils disparaissaient simplement dans les mêmes collines et forêts qui avaient abrité la légende de Robin des Bois. Surtout, ils bénéficiaient du support presque universel des habitants du lieu.

Les Luddites apparaissaient souvent déguisés devant une usine et déclaraient qu'ils venaient suivant les ordres du Général Ned Ludd. Ces exigences incluaient la restauration de taux de rémunération raisonnables, de conditions de travail acceptables et probablement d'un contrôle de la qualité. Face au nombre intimidant et aux actions étonnamment disciplinées des Luddites, la plupart des propriétaires d'usine se soumettaient, au moins temporairement. Ceux qui refusaient retrouvaient leurs coûteuses machines détruites. Au début, les Luddites évitaient scrupuleusement les violences sur toute personne.

La période non violente du Luddisme finit à l'usine de tissage mécanisée de Burton dans le Lancashire le 20 avril 1812. Un grand corps de Luddites, comptant peut-être plus de mille personnes attaqua l'usine, essentiellement armés de bâtons et de pierres. L'usine était défendue par un groupe bien armé de gardes privés. Les gardes repoussèrent l'attaque, et, à la place, les Luddites mirent le feu à la maison des propriétaires. Ils furent rattrapés par l'armée et plusieurs furent tués. Des mesures énergiques du gouvernement suivirent et beaucoup de Luddites présumés furent déclarés coupables, emprisonnés, ou pendus.