traduit à partir de Nature, Vol.387, 15 mai 1997 (http://www.esd.ornl.gov/benefits_conference/nature_paper.pdf) par Michel Roudot

La valeur des services de l'écosystème mondial et du capital naturel

Robert Costanza * ¥, Ralph d'Arge ±, Rudolf de Groot §, Stephane Farber ||, Monica Grasso ¥, Bruce Hannon ¶, Karin Limburg #*, Shahid Naeem **, Robert V. O'Neill ¥¥, Jose Paruelo ±±, Robert G. Raskin §§, Paul Sutton |||| et Marjan van den Belt ¶¶

* Center for Environmental and Estuarine Studies, Zoology Department et ¥ Institute for Ecological Economics, University of Maryland, Box 38, Solomons, Maryland 20688, USA
± Economics Department (emeritus), University of Wyoming, Laramie, Wyoming 82070, USA
§ Center for Environment and Climate Studies, Wageningen Agricultural University, PO Box 9101, 6700 HB Wageninengen, Pays-Bas
|| Graduate School of Public and International Affairs, University of Pittsburgh, Pittsburgh, Pennsylvania 15260, USA
¶ Geography Department and NCSA, University of Illinois, Urbana, Illinois 61801, USA
# Institute of Ecosystem Studies, Millbrook, New York, USA
** Department of Ecology, Evolution and Behavior, University of Minnesota, St Paul, Minnesota 55108, USA
¥¥ Environmental Sciences Division, Oak Ridge National Laboratory, Oak Ridge, Tennessee 37831, USA
±± Department of Ecology, Faculty of Agronomy, University of Buenos Aires, Av. San Martin 4453, 1417 Buenos Aires, Argentine
§§ Jet Propulsion Laboratory, Pasadena, California 91109, USA
|||| National Center for Geographic Information and Analysis, Department of Geography, University of California at Santa Barbara, Santa Barbara, California 93106, USA
¶¶ Ecological Economics Research and Applications Inc., PO Box 1589, Solomons, Maryland 20688, USA


Les services des systèmes écologiques et les stocks de capitaux naturels qui les produisent sont cruciaux pour le fonctionnement du système de soutien de la vie sur la Terre. Ils contribuent au bien-être humain, tant directement qu'indirectement, et représentent donc une partie de la valeur économique totale de la planète. Nous avons évalué la valeur économique actuelle de 17 services de l'écosystème pour 16 biomes, basée sur des études publiées et quelques calculs originaux. Pour la biosphère entière, la valeur (dont la plus grande partie est à l'extérieur du marché) est estimée se trouver dans l'intervalle de 16 à 54 billions (1012) de US$ par an, avec une moyenne de 33 billions de US$ par an. En raison de la nature des incertitudes, ceci doit être considéré comme une estimation minimale. Le total du produit national brut mondial est aux environs de 18 billions de US$ par an.

Comme les services de l'écosystème ne sont pas entièrement 'conquis' dans les marchés commerciaux ou correctement quantifiés dans des termes comparables avec les services économiques et le capital manufacturé, le poids qui leur est affecté est souvent trop faible dans les décisions politique. Ce manque d'intérêt peut à terme mettre en péril le caractère durable de l'humanité dans la biosphère. Les économies de la Terre s'immobiliseraient dans un grincement sans les services des systèmes écologiques de soutien de la vie, donc en un certain sens leur valeur totale pour l'économie est infinie. Cependant, il peut être instructif d'évaluer la valeur 'incrémentale' ou 'marginale' des services de l'écosystème (le taux de variation de la valeur comparé avec des variations des services de l'écosystème par rapport à leurs niveaux actuels). Il y a eu beaucoup d'études dans les quelques décennies passées visant à évaluer la valeur d'une large variété de services de l'écosystème. Nous avons rassemblé cette somme importante (mais éparpillée) d'informations et la présentons ici sous une forme utile pour les écologistes, les économistes, les décideurs et le grand public. A partir de cette synthèse, nous avons estimé des valeurs pour les services de l'écosystème par unité de surface pour chaque biome et ensuite multiplié par la surface totale de chaque biome et sommé sur tous les services et tous les biomes.

Bien que nous reconnaissions qu'il y a beaucoup de problèmes conceptuels et empiriques inhérents à la production d'une telle estimation, nous pensons que cet exercice est essentiel pour : (1) rendre l'intervalle des valeurs potentielles des services de l'écosystème plus apparent; (2) établir au moins une première approximation de la taille relative des services globaux de l'écosystème; (3) mettre en place une structure pour leur analyse ultérieure; (4) identifier les secteurs où une recherche complémentaire est la plus nécessaire; et (5) stimuler des recherches complémentaires et le débat. La plupart des problèmes et des incertitudes que nous avons rencontrés indiquent que notre estimation représente une valeur minimale, qui augmenterait probablement : (1) avec un effort complémentaire pour étudier et chiffrer une gamme plus large de services de l'écosystème; (2) avec l'incorporation des représentations plus réalistes de la dynamique et de l'interdépendance de l'écosystème; et (3) quand les services de l'écosystème deviendront plus stressés et 'rares' dans l'avenir.

Les fonctions de l'écosystème et les services de l'écosystème

Les fonctions de l'écosystème font référence de façons diverses à l'habitat, aux propriétés biologiques ou systémiques ou aux processus des écosystèmes. Les biens (comme la nourriture) et les services (comme l'assimilation des déchets) de l'écosystème représentent les bénéfices que les populations humaines tirent, directement ou indirectement, des fonctions de l'écosystème. Pour simplifier, nous nous référerons à la fois aux biens et services de l'écosystème comme des services de l'écosystème. Un grand nombre de fonctions et de services peut être identifié 1-4. La référence 5 fournit un abrégé récent et détaillé sur la description, la mesure et l'évaluation des services de l'écosystème. Pour les besoins de cette analyse nous avons groupé les services de l'écosystème dans 17 catégories principales. Ces groupes sont listés dans la Table 1. Nous avons inclus seulement des services renouvelables de l'écosystème, excluant les carburants et les minéraux non-renouvelables et l'atmosphère. Notez que les services et les fonctions de l'écosystème ne montrent pas nécessairement une correspondance un à un. Dans quelques cas un service unique de l'écosystème est le produit de deux, ou plus, fonctions de l'écosystème tandis que dans d'autres cas une fonction unique de l'écosystème contribue à deux, ou plus, services de l'écosystème. Il est aussi important de souligner la nature interdépendante de beaucoup de fonctions de l'écosystème. Par exemple, une partie de la production primaire nette dans un écosystème finit en alimentation, dont la consommation produit des produits de la respiration nécessaires à la production primaire. Bien que ces fonctions et services soient interdépendants, dans de nombreux cas on peut les additionner parce qu'ils représentent "des produits conjugués" de l'écosystème, qui soutiennent le bien-être humain. Dans la mesure du possible, nous avons essayé de distinguer les produits conjugués et "additionnables" des produits qui représenteraient un "double comptage" (parce qu'ils représentent des aspects différents du même service) s'ils étaient additionnés. Il est aussi important de reconnaître qu'un niveau minimal "d'infrastructure" de l'écosystème est nécessaire pour permettre la production de l'ensemble des services de la Table 1. Plusieurs auteurs ont souligné l'importance de cette "infrastructure" de l'écosystème elle-même comme un contributeur à sa valeur totale 6,7. Ce composant de la valeur n'est pas inclus dans l'analyse actuelle.

Table 1 Services et fonctions de l'écosystème utilisés dans cette étude

Numéro

Services de l'écosystème *

Fonctions de l'écosystème

Exemples

1

Régulation des gaz

Régulation de la composition chimique de l'atmosphère.

Equilibre CO2/02 , 03 pour la protection UVB et niveaux de SOx

2

Régulation du Climat

Régulation des températures et précipitations mondiales, et d'autres processus climatiques arbitrés biologiquement au niveau mondial ou local.

Régulation des gaz à effet de serre, production de DMS affectant formation des nuages.

3

Régulation des Perturbation

Capacitance, amortissement et intégrité de la réponse de l'écosystème aux fluctuations environnementales.

Protection contre les tempêtes, prévention des inondations, rétablissement après les sécheresses et autres aspects de la réponse de l'habitat à la variabilité environnementale principalement contrôlés par la structure de la végétation.

4

Régulation de l'eau

Régulation des flux hydrologiques.

Fourniture d'eau aux processus agricoles (comme l'irrigation) ou industriels (comme la mouture) ou au transport.

5

Alimentation en eau

Stockage et conservation de l'eau.

Ravitaillement en eau par bassins versants, réservoirs et aquifères.

6

Contrôle de l'érosion et rétention des sédiments

Conservation du sol à l'intérieur d'un écosystème.

Prévention de la perte de sol par le vent, le ruissellement, ou d'autres processus de déplacement, stockage de limon dans les lacs et marécages.

7

Formation de sol

Processus de formation de sol.

Décomposition des roches et l'accumulation de matière organique.

8

Recyclage des nutriments

Stockage, recyclage interne, traitement et acquisition de substances nutritives.

Fixation d'azote, N, P et autres cycles élémentaires ou nutritifs.

9

Traitement des déchets

Récupération des nutriments mobiles et déplacement ou décomposition des nutriments ou composés en excès ou xéniques.

Traitement des déchêts, contrôle de la pollution, détoxication.

10

Pollinisation

Mouvement des gamètes florales.

Fourniture de pollinisateurs pour la reproduction des populations de plantes.

11

Contrôle biologique

Régulation trophique-dynamiques des populations.

Contrôle par les prédateurs clés des espèces proies, réduction des herbivores par les prédateurs supérieurs.

12

Refuge

Habitat pour populations résidentes et migratoires.

Nurseries, habitat pour les espèces migratrices, habitats régionaux pour les espèces récoltées localement, ou sur les terrains d'hivernage.

13

Production d'alimentation

La partie de la production primaire brute extractible comme alimentation.

Production de poisson, gibier, cultures, noix, fruits par la chasse, la cueillette, l'agriculture de subsistance ou la pêche.

14

Matières premières

La partie de la production primaire brute extractible comme matières premières.

La production de bois d'oeuvre, combustible ou fourrage.

15

Ressources génétiques

Sources de matériel et produits biologiques uniques.

Médicaments, produits pour la science des matériaux, gènes pour résistance aux pathogènes des plantes et parasites des récoltes, espèces ornementales (animaux de compagnie et variétés horticoles de plantes).

16

Récréation

Fournir des occasions d'activités récréationnelles.

Eco-tourisme, pêche sportive et autres activités extérieures de loisirs.

17

Culturel

Fournir des occasions d'utilisations non-commerciales

Valeurs esthétique, artistique, éducative, spirituelle, et-ou scientifique des écosystèmes.

* Nous incluons les "biens" de l'écosystème avec les services de l'écosystème.

Capital naturel et services de l'écosystème

En général, on considère le capital comme étant une réserve de matériels ou d'information qui existe à un moment donné. Chaque forme de réserve de capital génère, soit de façon autonome soit en conjonction avec les services d'autres réserves de capital, un flux de services qui peut être utilisé pour transformer des matériaux, ou la configuration spatiale de matériaux, pour augmenter le bien-être des gens. L'utilisation humaine de ce flux de services peut ou non laisser le capital initial intact. Les réserves de capital prennent différentes formes identifiables, notablement sous des formes physiques incluant le capital naturel, comme les arbres, les minéraux, les écosystèmes, l'atmosphère etc; le capital manufacturé, comme les machines et les constructions; et le capital humain des corps physiques. De plus, les réserves de capital peuvent prendre des formes intangibles, spécialement sous forme d'information telle que celle qui est stockée dans des ordinateurs et dans des cerveaux humains individuels, aussi bien que celle qui est stockée dans les espèces et les écosystèmes.

Les services de l'écosystème consistent en flux de matières, d'énergie et d'information issus du capital naturel qui se combinent avec des services du capital manufacturé et humain pour produire le bien-être humain. Bien qu'il soit possible d'imaginer produire le bien-être humain sans capital naturel et services d'écosystème dans des "colonies spatiales" artificielles, cette possibilité est trop distante et peu probable pour être actuellement de beaucoup d'intérêt. En fait, une façon complémentaire de penser à la valeur des services d'écosystème est de déterminer ce qu'il en coûterait de les reproduire dans une biosphère artificielle, produite technologiquement. L'expérience des missions spatiales habitées et de Biosphère II dans l'Arizona indique que c'est une proposition excessivement complexe et coûteuse. Biosphère I (la Terre) est un fournisseur très efficace, à moindre coût de services de support de la vie humaine.

Ainsi nous pouvons considérer la classe générale du capital naturel comme essentielle pour le bien-être humain. Zéro capital naturel implique zéro bien-être humain parce qu'il n'est pas faisable de substituer, totalement, du capital purement 'artificiel' au capital naturel. Le capital manufacturé ou humain exige du capital naturel pour sa construction7. Donc, cela n'a pas beaucoup de sens de demander la valeur totale du capital naturel pour le bien-être humain, ni de demander la valeur de formes massives, particulières de capital naturel. Il est futile de demander quelle est la valeur de l'atmosphère pour l'humanité, ou quelle est la valeur des roches et de l'infrastructure du sol comme systèmes de support. Leur valeur totale est infinie.

Cependant, cela a du sens de demander comment des changements de la quantité ou de la qualité des divers types de capital naturel et de services d'écosystème peuvent avoir un impact sur le bien-être humain. De tels changements incluent tant des petits changements à grande échelle que des grands changements à petite échelle. Par exemple, changer la composition gazeuse de l'atmosphère mondiale d'une petite quantité peut avoir des effets à grande échelle de changement du climat qui affecteront la viabilité et le bien-être de populations humaines globales. De grands changements à petite échelle incluent, par exemple, le changement radical de la composition d'une forêt locale. Ces changements peuvent altérer radicalement les écosystèmes terrestres et aquatiques, avec un impact sur les bénéfices et les coûts des activités humaines locales. En général, les changements de formes particulières de capital naturel et de services d'écosystème modifieront les coûts ou les bénéfices de l'entretien du bien-être humain.

Valorisation des services d'écosystème

La question de la valorisation est inséparable des choix et des décisions que nous devons faire sur les systèmes écologiques6,8. Certains soutiennent que la valorisation des écosystèmes est impossible ou imprudente, que nous ne pouvons pas affecter une valeur à des 'intangibles' tels que la vie humaine, l'esthétique environnementale, ou les bénéfices écologiques à long terme. Mais, en fait, nous le faisons tous les jours. Quand nous définissons des standards de construction pour des autoroutes, des ponts et ainsi de suite, nous valorisons la vie humaine (que nous le reconnaissions ou pas) parce que dépenser plus d'argent sur la construction sauvegarderait des vies. Un autre argument fréquent est que nous devrions protéger les écosystèmes pour des raisons purement morales ou esthétiques et que nous n'avons pas besoin de valorisations des écosystèmes pour cela. Mais il y a également des arguments moraux aussi contraignants qui peuvent entrer en conflit direct avec l'argument moral de protéger les écosystèmes; par exemple, l'argument moral que personne ne devrait souffrir de la faim. Les arguments moraux traduisent la valorisation et le problème de la décision dans un jeu différent de dimensions et un langage discursif différent6; un langage qui, de notre point de vue, rend le problème de la valorisation et du choix plus difficile et moins explicite. Mais les arguments moraux et économiques ne sont certainement pas mutuellement exclusifs. Les deux discussions peuvent et doivent se dérouler en parallèle.

Ainsi, bien que la valorisation des écosystèmes soit certainement difficile et pleine d'incertitudes, nous ne pouvons pas ne pas la faire. En fait, les décisions que nous prenons en tant que société sur les écosystèmes impliquent des valorisations (bien que non nécessairement exprimées en termes monétaires). Nous pouvons choisir de rendre ces valorisations explicites ou non; nous pouvons les faire en reconnaissant explicitement ou non les énormes incertitudes qu'elles impliquent; mais tant que nous sommes forcés de faire des choix, nous passons par un processus de valorisation.

L'exercice de valorisation des services du capital naturel 'à la marge' consiste à déterminer les différences que des changements relativement faibles de ces services apportent au bien-être humain. Les changements de la qualité ou la quantité de services d'écosystème ont une valeur dès lors qu'ils changent les bénéfices associés aux activités humaines ou qu'ils changent les coûts de ces activités. Ces changements dans les bénéfices et des coûts ont un impact sur le bien-être humain au travers de marchés établis ou par des activités hors-marché. Par exemple, les récifs de corail fournissent des habitats pour le poisson. Un aspect de leur valeur est d'augmenter et concentrer les stocks de poisson. Un effet de changements de la qualité ou de la quantité des récifs de corail serait perceptible sur les marchés de la pêche commerciaux, ou sur la pêche de loisirs. Mais d'autres aspects de la valeur des récifs de corail, comme la plongée de loisirs et la conservation de la diversité biologique, n'apparaissent pas complètement sur les marchés. Les forêts fournissent du bois d'oeuvre sur des marchés bien établis, mais les valeurs d'habitat associées aux forêts sont aussi ressentis par des activités de loisir non commercialisées. La chaînes des effets depuis les services d'écosystème jusqu'au bien-être humain peut s'étendre d'extrêmement simple à extrêmement complexe. Les forêts fournissent du bois d'oeuvre, mais retiennent aussi les sols et l'humidité et créent des micro-climats, et tout cela contribue au bien-être humain par des voies complexes et généralement non-commerciales.

Méthodes de valorisation

Des méthodes diverses ont été utilisées pour valoriser les composantes, du marché et hors-marché, de la valeur des services d'écosystème9-16. Dans cette analyse, nous avons synthétisé des études antérieures basées sur une large diversité de méthodes, en notant les limites et les présupposés à la base de chacune.

Beaucoup des techniques de valorisation utilisées dans les études couvertes par notre synthèse sont basées, directement ou indirectement, sur des tentatives pour estimer 'l'empressement-à-payer' pour les services d'écosystème de la part des individus. Par exemple, si des services écologiques fournissaient un incrément de 50 $ à la productivité d'une forêt en bois d'oeuvre, alors les bénéficiaires de ce service devraient être d'accord pour payer jusqu'à 50 $ pour cela. En plus de la production de bois d'oeuvre, si la forêt offrait une valeur non-marchande, esthétique, d'existence et de conservation de 70 $, ceux qui reçoivent cet avantage non marchand devraient être d'accord pour payer jusqu'à 70 $ pour cela. La valeur totale des services écologiques serait 120 $, mais la contribution à l'économie monétaire des services écologiques serait 50 $, la somme qui passe réellement par des marchés. Dans cette étude nous avons essayé d'évaluer la valeur totale des services écologiques, indépendamment du fait qu'ils sont actuellement commercialisés.

Courbes de l'offre et de la demande

Figure 1 Courbes de l'offre et de la demande, montrant la définition du coût, de la rente nette, et du surplus consommateur pour des biens normaux (a) et certains services essentiels d'écosystème (b). Voir le texte pour plus d'explications.

La figure 1 montre certains de ces concepts schématiquement. La figure 1a montre les courbes conventionnelles de l'offre (le coût marginal) et de la demande (le gain marginal) pour un bien ou service typique marchand. La valeur qui apparaîtrait dans le produit national brut (PNB) est le prix de marché p multiplié par la quantité q, soit la surface pbqc. Il y a trois autres surfaces pertinentes représentées sur le diagramme, cependant. Le coût de production est la surface sous la courbe de l'offre, cbq. 'L'excédent producteur' ou la 'rente nette' pour une ressource est la surface entre le prix de marché et la courbe de l'offre, pbc. 'L'excédent consommateur' ou la quantité de richesse que le consommateur reçoit en plus du prix payé sur le marché est la surface entre la courbe de la demande et le prix de marché, abp. La valeur économique totale de la ressource est la somme des surplus producteur et consommateur (en excluant le coût de production), ou la surface abc sur le diagramme. Notez que la valeur économique totale peut être supérieure ou inférieure au produit des évaluations de quantité et prix utilisés dans le PNB.

La figure 1a se réfère à un bien manufacturé, substituable. Beaucoup de services d'écosystème sont substituables seulement jusqu'à un certain point et leurs courbes de demande ressemblent probablement plus à la figure 1b. Ici la demande s'approche de l'infini quand la quantité disponible approche de zéro (ou d'un certain niveau minimal nécessaire de services) et l'excédent consommateur (aussi bien que la valeur économique totale) approche l'infini. Les courbes de demande pour des services d'écosystème sont très difficiles, sinon impossibles, à évaluer en pratique. De plus, dans la mesure où les services d'écosystème ne peuvent pas être augmentés ou diminués par des actions du système économique, leurs courbes d'offre sont plus ou moins verticales, comme indiqué dans la figure 1b.

Dans cette étude nous avons évalué la valeur par unité de surface de chaque service d'écosystème pour chaque type d'écosystème. Pour estimer cette 'valeur unitaire' nous avons utilisé (par ordre de préférence) soit : (1) la somme des excédents consommateur et producteur; ou (2) la rente nette (ou excédent producteur); ou (3) la quantité multipliée par le prix comme un représentant de la valeur économique du service, en supposant que la courbe de la demande pour des services d'écosystème ressemble plus à la figure 1b qu'à la figure 1a et que donc la surface pbqc est une estimation par défaut conservative de la surface abc. Nous avons alors multiplié les valeurs unitaires par la superficie de chaque écosystème pour parvenir aux totaux mondiaux.

Valeurs d'écosystème, marchés et PNB

Comme nous l'avons noté, la valeur de beaucoup de types de capital naturel et de services d'écosystème n'est pas facilement traçables dans des marchés libres, ou peut ne pas apparaître du tout dans les marchés. Par exemple, l'amélioration esthétique d'une forêt peut changer les dépenses de loisirs sur ce site, mais ce changement de la dépense n'a aucune relation nécessaire avec la valeur de l'amélioration. Les visiteurs peuvent estimer l'amélioration à 100 $, mais transférer seulement 20 $ de dépenses depuis d'autres secteurs de loisirs vers le site amélioré. L'amélioration de la qualité de marécages peut améliorer le traitement des déchets, économisant des coûts potentiels de traitement. Par exemple, le traitement tertiaire par des marécages peut économiser 100 $ d'un autre traitement. Le traitement existant peut ne coûter que 30 $. L'économie de coût de traitement n'apparaît sur aucun marché. Il y a dans de nombreux cas très peu de relation entre la valeur des services et le comportement de dépense actuel observable.

Il n'y a également aucun rapport nécessaire entre la valorisation des flux de service du capital naturel, même à la marge, et les dépenses agrégées, ou le PNB, dans l'économie. C'est vrai même si tous les flux de service du capital) avaient un impact sur les marchés libres. Une grande partie des contributions au bien-être humain par les services d'écosystème est purement d'une nature de biens publics. Ils reviennent directement aux gens sans passer du tout par l'économie monétaire. Dans de nombreux cas les gens ne sont pas même conscient de leur existence. Les exemples incluent l'air et l'eau purs, la formation de sol, la régulation du climat, le traitement des déchets, les valeurs esthétiques et la bonne santé, comme mentionné plus haut.

Utilisation et couverture de la terre à l'échelle mondiale

Carte des biomes

Figure 2 Carte mondiale de la valeur des services d'écosystèmes. Voir l'Information Supplémentaire et la Table 2 pour les détails.

Pour évaluer la valeur totale des services d'écosystème, nous avons eu besoin d'évaluations de l'étendue mondiale totale des écosystèmes eux-mêmes. Nous avons mis au point un dispositif de classification agrégée avec 16 catégories primaires comme indiqué dans la Table 2 pour représenter l'utilisation mondiale actuelle de la terre. La principale division est entre les systèmes maritimes et terrestres. Maritime a été de nouveau subdivisé en haute mer et côtier, qui lui-même inclut les estuaires, champs d'algues et de plantes marines, récifs de corail et systèmes de plateau. Les systèmes terrestres ont été décomposés en deux types de forêts (tropical et tempéré/boréal), prairies/pâturages, marécages, lacs/rivières, désert, toundra, glace/roche, cultures et urbain. Les données primaires proviennent de la réf. 17 comme récapitulé dans la réf. 4 avec des informations complémentaires d'un certain nombre de sources18-22. Nous avons aussi utilisé des données de la réf. 23, comme vérification sur les estimations terrestres et des refs 24 et 25 comme contrôle sur les estimations maritimes. Les 32 types de couverture du sol de la réf. 17 ont été recatégorisés pour la Table 2 et la Figure 2. Les principales suppositions ont été : (1) le chaparral et la steppe ont été considérés comme pâturages et combinés avec les prairies; et (2) différents types de forêts tropicales et de régions boisées ont été combinés dans les 'forêts tropicales'.

Table 2 Résumé de la valeur mondiale moyenne des services d'écosystème annuels

Services d'écosystème (1994 US$.ha−1.an−1)

Biome

Surface (ha x 106)

1
Régulation
des gaz

2
Régulation
du climat

3
Régulation
des perturbations

4
Régulation
de l'eau

5
Alimentation
en eau

6
Contrôle
de l'érosion

7
Formation de sol

8
Recyclage
des nutriments

9
Traitement
des déchets

10
Pollinisation

11
Contrôle
biologique

12
Habitat/refuges

13
Production
de nourriture

14
Matières
premières

15
Ressources
génétiques

16
Récréation

17
Culturel

Valeur totale par ha
($.ha−1.an−1)

Valeur totale mondiale du flux
($.an−1.109)

Maritime

36 302

577

20 949

··Haute mer

33 200

38

118

5

15

0

76

252

8 381

··Côtier

3 102

88

3 677

38

8

93

4

82

62

4 052

12 568

····Estuaires

180

567

21 100

78

131

521

25

381

29

22 832

4 110

····Champs d'algues
····et plantes marines

200

19 002

2

19 004

3 801

····Récifs de corail

62

2 750

58

5

7

220

27

3 008

1

6 075

375

····Plateau

2 660

1 431

39

68

2

70

1 610

4 283

Terrestre

15 323

804

12 319

··Forêt

4 855

141

2

2

3

96

10

361

87

2

43

138

16

66

2

969

4 706

····Tropicale

1 900

223

5

6

8

245

10

922

87

32

315

41

112

2

2 007

3 813

····Tempérée/boréale

2 955

88

0

10

87

4

50

25

36

2

302

894

··Herbe/pâturages

3 898

7

0

3

29

1

87

25

23

67

0

2

232

906

··Zones humides

330

133

4 539

15

3 800

4 177

304

256

106

574

881

14 785

4 879

····Marais côtiers/
····mangroves

165

1 839

6 696

169

466

162

658

9 990

1 648

····Marécages/
····plaines inondables

165

265

7 240

30

7 600

1 659

439

47

49

491

1 761

19 580

3 231

··Lacs/rivières

200

5 445

2 117

665

41

230

8 498

1 700

··Désert

1 925

··Toundra

743

··Glace/roc

1 640

··Cultures

1 400

14

24

54

92

128

··Urbain

332

Total

51 625

1 341

684

1 779

1 115

1 692

576

53

17 075

2 277

117

417

124

1 386

721

79

815

3 015

33 268

Les nombres dans le corps de la table sont en $.ha−1.an −1. Les totaux de rangée et de colonne sont en $.an−1.109, les totaux de colonne sont la somme des produits des services par ha dans la table par la surface de chaque biome, et non la somme des services par ha eux-mêmes. Les cellules grisées indiquent les services qui n'existent pas ou dont on sait qu'ils sont négligeables. Les cellules blanches indiquent le manque d'information disponible.

Synthèse

Nous avons conduit une revue minutieuse de la littérature et avons synthétisé l'information, avec quelques calculs originaux, pendant un atelier intensif d'une semaine au nouveau Centre National pour l'Analyse et la Synthèse Écologique (NCEAS) à l'Université de Californie à Santa Barbara. L'Information Supplémentaire liste les résultats primaires pour chaque service d'écosystème et biome. L'Information Supplémentaire inclut toutes les estimations que nous avons pu identifier dans la littérature (à partir de plus de 100 études), leurs méthodes de valorisation, emplacement et valeur donnée. Nous avons converti chaque estimation en 1994 US$ ha−1an−1 en utilisant l'indice des prix à la consommation des Etats-Unis et d'autres facteurs de conversion comme nécessaire. Ceux-ci sont listés dans les notes de l'Information Supplémentaire. Pour quelques estimations nous avons aussi converti l'estimation du service en US$ équivalents en utilisant le ratio de parité de pouvoir d'achat du PNB par habitant du pays d'origine à celui des Etats-Unis. Ceci était destiné à s'adapter aux effets du revenu. Chaque fois que possible les estimations sont présentées sous forme d'un intervalle, basé sur les valeurs haute et basse trouvées dans la littérature et d'une valeur moyenne, avec des commentaires annotés les méthodes et les présupposés. Nous avons aussi inclus dans l'Information Supplémentaire quelques évaluations de la littérature sur la "valeur d'écosystème totale", utilisant principalement des techniques d'analyse énergétique l0. Nous n'avons inclus ces estimations dans aucun des totaux ou des moyennes données ci-dessous, mais seulement pour la comparaison avec les totaux des autres techniques. De façon intéressante, ces différentes méthodes ont montré un accord assez proche dans les résultats finaux.

Chaque biome et chaque service d'écosystème avait ses considérations spéciales. Des notes détaillées expliquant chaque biome et chaque entrée dans l'Information Supplémentaire sont données sous forme de notes après la table. Des descriptions plus détaillées de certains des écosystèmes, de leurs services et des problèmes généraux de valorisation peuvent être trouvées dans la réf. 5. Nous discutons brièvement ci-dessous quelques considérations générales qui s'appliquent à l'ensemble.

Sources d'erreur, limitations et avertissements

Notre tentative pour évaluer la valeur économique actuelle totale des services d'écosystème est limitée pour un certain nombre de raisons, parmi lesquelles :

  1. Bien que nous ayons essayé d'inclure autant de choses que possible, notre estimation laisse de côté de nombreuses catégories de services, qui n'ont pas encore été correctement étudiées pour beaucoup d'écosystèmes. De plus, nous n'avons pu identifier aucune étude de valorisation pour certains biomes importants (désert, toundra, glace/roche et cultures). Quand de nouvelles et de meilleures informations deviendront disponibles nous nous attendons à ce que la valeur estimée totale augmente.

  2. Les prix actuels, qui forment la base (directement ou indirectement) de beaucoup des estimations de valeur, sont biaisés pour un certain nombre de raisons, en particulier le fait qu'ils excluent la valeur des services d'écosystème, du travail ménager et l'économie informelle. En plus de cela, il y a des différences entre la valeur totale, l'excédent consommateur, la rente nette (ou excédent producteur) et p x q, qui sont tous utilisés pour estimerer les valeurs unitaires (voir la figure 1).

  3. Dans de nombreux cas les valeurs sont basées sur "l'empressement-à-payer" actuel des individus pour les services d'écosystème, bien que ces individus puissent être mal informés et que leurs préférences puissent ne pas incorporer de façon adéquate la justice sociale, la durabilité écologique et d'autre objectifs importants16. Autrement dit, si nous vivions réellement dans un monde écologiquement durable, socialement équitable et où chacun avait une connaissance parfaite de ses connexions avec les services d'écosystème, les cours du marché comme les enquêtes "d'empressement-à-payer" fourniraient des résultats très différents des résultats actuels, et la valeur des services d'écosystème augmenterait probablement.

  4. Dans le calcul de la valeur actuelle, nous avons généralement supposé que les courbes de l'offre et de la demande ressemblent plus ou moins à la figure la. En réalité, les courbes d'offre pour beaucoup de services d'écosystème sont plutôt des lignes verticales inélastiques et les courbes de demande ressemblent probablement plutôt à la figure 1b, tendant vers l'infini quand la quantité tend vers zéro. Ainsi les excédents consommateur et producteur et donc la valeur totale des services d'écosystème tendraient aussi vers l'infini.

  5. L'approche de valorisation retenue ici suppose qu'il n'y a aucun seuil, discontinuité ou irréversibilité marqués dans les fonctions de réponse des écosystèmes. Ce n'est presque certainement pas le cas. Donc cette valorisation fournit une approximation par défaut de la valeur totale.

  6. L'extrapolation d'estimations ponctuelles à des totaux globaux introduit une erreur. En général, nous avons évalué des valeurs par unité de surface pour les services d'écosystème (en $ ha−1an−1) et ensuite multiplié par la surface totale de chaque biome. Ceci ne peut être considéré que comme une première approximation grossière et peut introduire des erreurs selon le type de service d'écosystème et son hétérogénéité spatiale.

  7. Pour éviter les double comptes, une structure d'équilibre générale qui pourrait directement incorporer l'interdépendance entre les fonctions et services d'écosystème serait préférable à la structure d'équilibre partielle utilisée dans cette étude (voir ci-dessous).

  8. Les valeurs pour les fonctions d'écosystème individuelles devraient être basées sur des niveaux d'utilisation soutenables, tenant compte à la fois de la capacité d'accueil pour les fonctions individuelles (comme la production de nourriture ou le recyclage de déchets) et de l'effet combiné de l'utilisation simultanée de plusieurs fonctions. Les écosystèmes devraient être capables de fournir toutes les fonctions listées dans la Table 1 simultanément et indéfiniment. Ce n'est certainement pas le cas pour certains services d'écosystème actuels à cause de la sur-utilisation aux prix existants.

  9. Nous n'avons pas incorporé la valeur "d'infrastructure" des écosystèmes, comme noté ci-dessus, menant à une sous-estimation de la valeur totale.

  10. Les comparaisons entre pays des valorisations sont affectées par les différences de revenu. Nous avons essayé de le prendre en compte dans certains cas en utilisant le PNB par habitant en parité de pouvoir d'achat du pays relativement aux Etats-Unis, mais c'est une façon très grossière de faire la correction.

  11. En général, nous avons utilisé des valeurs de flux annuelles et avons évité beaucoup des problèmes difficiles entraînés par l'amortissement des valeurs de flux futures pour parvenir à une valeur actuelle nette du capital. Mais quelques estimations dans la littérature étaient présentées comme des valeurs de stock et il était nécessaire d'utiliser un taux d'amortissement (nous avons utilisé 5%) pour les convertir en flux annuels.

  12. Notre estimation est basée sur un 'instantané' statique de ce qui est, en fait, un système dynamique complexe. Nous avons supposé un modèle statique et "d'équilibre partiel" dans le sens que la valeur de chaque service est dérivée indépendamment et additionnée. Cela ignore les interdépendances complexes entre les services. L'estimation pourrait aussi changer radicalement quand le système traverse des non-linéarités ou des seuils critiques. Bien qu'il soit possible de construire des modèles "d'équilibre général" dans lesquels la valeur de tous les services d'écosystème est dérivée simultanément avec toutes les autres valeurs et de construire des modèles dynamiques qui incorporent des non-linéarités et des seuils, ces modèles ont rarement été essayés à l'échelle que nous discutons. Ils représentent l'étape logique suivante dans la détermination de meilleures estimations de la valeur des services d'écosystème.

Nous avons essayé d'exposer ces diverses sources d'incertitude chaque fois que possible dans l'Information Supplémentaire et ses notes d'accompagnement et d'indiquer l'intervalle des valeurs pertinentes. En dépit des limitations notées ci-dessus, nous sommes convaincus qu'il est très utile de synthétiser les estimations de valorisation existantes, ne serait ce que pour déterminer un ordre de grandeur initial grossier. En général, à cause de la nature des limitations notées, nous nous attendons à ce que notre estimation actuelle représente une valeur minimale des services d'écosystème.

Valeur mondiale totale des services d'écosystème

La table 2 est un résumé des résultats de notre synthèse. Elle liste chacun des biomes principaux avec leur surface mondiale estimée actuelle, la moyenne (sur une base d'un hectare) des valeurs estimées des 17 services d'écosystème que nous avons identifiés par l'Information Supplémentaire et la valeur totale des services d'écosystème par biome, par type de service et pour la biosphère entière.

Nous avons évalué qu'à la marge actuelle, les écosystèmes fournissent au moins une valeur de 33 billions d'US dollars de services annuellement. La plus grande partie de la valeur des services que nous avons pu identifier est actuellement à l'extérieur du système de marché, dans des services comme la régulation des gaz (US$ 1.3 billions an−1), la régulation des perturbations (US$ 1.8 billions an−1), le traitement des déchets (US$ 2.3 billions an−1) et le recyclage des nutriments (US$ 17 billions an−1). Environ 63% de la valeur estimée est apportée par les systèmes marins (US$ 20.9 billions an−1). La plus grande part de celle ci vient des systèmes côtiers (US$ 10.6 billions an−1). Environ 38% de la valeur estimée vient des systèmes terrestres, principalement des forêts (US$ 4.7 billions an−1) et les zones humides (US$ 4.9 billions an−1).

Nous avons estimé un intervalle de valeurs chaque fois que possible pour chaque entrée de l'Information Supplémentaire. La Table 2 ne rapporte que les valeurs moyennes. Si nous avions utilisé la borne inférieure de l'intervalle dans l'Information Supplémentaire, le total mondial aurait été autour de 19 billions de US$. Si nous éliminons le recyclage des nutriments, qui est le plus gros des service individuels, estimé à 17 billions de US$, la valeur annuelle totale serait aux environs de 16 billions de US$. Si nous avions utilisé la borne supérieure pour toutes les estimations, en estimant également la valeur des déserts, de la toundra et de la glace/roche à la valeur moyenne des pâturages, l'estimation serait aux alentours de 54 billions de US$. Donc l'intervalle total des valeurs annuelles que nous avons évalué était de 16 à 54 billions de US$. Ce n'est pas un intervalle énorme, mais d'autres sources d'incertitude listées plus haut sont bien plus critiques. Il est important de souligner, toutefois, que malgré les nombreuses incertitudes incluses dans cette évaluation, c'est presque certainement une évaluation par défaut pour différentes raisons, qui ont été listées ci-dessus.

Il y a eu très peu de tentatives antérieures pour évaluer la valeur mondiale totale des services d'écosystème avec lesquelles comparer ces résultats. Nous en avons identifié deux, basées sur des méthodes et des suppositions complètement différentes, tant entre elles qu'avec les méthodes utilisées dans la présente étude. Ils fournissent donc une vérification intéressante.

L'une était une première tentative de modèle d'entrée-sortie d'équilibre général statique du globe, incluant des processus et marchandises tant écologiques qu'économiques26,27. Ce modèle divisait le globe en à 9 matières premières ou des groupes de produit et 9 processus, dont deux étaient 'économiques' (urbain et agriculture) et 7 'écologiques', y compris des systèmes tant terrestres que marins. Les données daaient d'environ 1970. Bien que ceci soit une décomposition très agrégée et que les données étaient de qualité seulement modérée, le modèle a produit un jeu de 'prix fantômes' et de 'valeurs fantômes' pour tous les flux entre processus, ainsi que les productions nettes du système, qui pouvaient être utilisés pour déduire une estimation de la valeur totale des services d'écosystème. Le format d'entrée-sortie est bien supérieur au format d'équilibre partiel que nous avons utilisé dans la présente étude pour différencier les flux bruts des flux nets et éviter les doubles comptes. Les résultats ont fourni une valeur totale de la production nette des 7 processus globaux d'écosystème égale à l'équivalent de 9.4 billions de US$ en 1972. Converti en US$ 1994 cela fait environ 34 billions de $, étonnamment près de notre évaluation moyenne actuelle. Cette estimation se décomposait en 11.9 billions de US$ (ou 35%) fournis par les processus d'écosystème terrestres et 22.1 billions de US$ (ou 65%) par les processus marins, également très près de notre estimation actuelle. Le PNB mondial en 1970 était d'environ 14.3 billions de $ (en US$ de 1994), indiquant une proportion du total des services d'écosystème au PNB d'environ 2.4 à 1. Le ratio correspondant pour l'évaluation actuelle est de 1.8 à 1.

Une étude plus récente28 a évalué la valeur d'un "excédent durable maximal" des services d'écosystème en considérant les services d'écosystème comme une des entrées d'une fonction de production mondiale agrégée, les autres étant le travail et le capital manufacturé. Leurs évaluations s'étalaient de 3.4 à 17.6 billions de US$ an−1, en fonction de différentes hypothèses. Cette approche supposait que la valeur totale des services d'écosystème était limitée à ce qui a un impact sur la valeur commercialisée, directement ou indirectement, et ainsi ne peut pas excéder le PNB total du monde d'environ 18 billions de US$. Mais, comme nous l'avons souligné, seule une fraction des services d'écosystème affecte les marchandises privées négociées sur les marchés existants, qui seraient inclus dans des mesures telles que le PNB. C'est un sous-ensemble des services que nous avons évalués, donc nous nous attendrions à ce que cette évaluation sous-évalue le total des services d'écosystème.

Les résultats de ces deux études indiquent, cependant, que notre estimation actuelle est au moins dans approximativement le même intervalle. Comme nous l'avons noté, il y a beaucoup de limitations tant dans l'étude courante que dans ces deux études précédentes. Ce ne sont toutes que des instantanés statiques d'une biosphère qui est un système dynamique complexe. Les étapes suivantes évidentes comportent la construction de modèles régionaux et globaux du système économique écologique lié visant à une meilleure compréhension tant de la dynamique complexe des processus physiques/biologiques que de la valeur de ces processus au bien être humain9,30. Mais nous ne devons pas attendre les résultats de ces modèles pour tirer les conclusions suivantes.

Discussion

Ce que cette étude établit de façon parfaitement claire est que les services d'écosystème fournissent une partie importante de la contribution totale au bien-être humain sur cette planète. Nous devons commencer à donner au capital naturel qui produit ces services un poids adéquat dans les processus décisionnels, faute de quoi le bien-être humain actuel et futur peut radicalement en souffrir. Nous estimons dans cette étude que la valeur annuelle de ces services est de 16 à 54 billions de US$, avec une moyenne estimée de 33 billions de US$. La valeur réelle est presque certainement beaucoup plus grande, même à la marge actuelle. 33 billions de US$ correspond à 1.8 fois le PNB mondial actuel. Une façon de considérer cette comparaison est que si l'on devait essayer de remplacer les services d'écosystèmes à la marge actuelle, il faudrait augmenter le PNB mondial d'au moins 33 billions de US$, en partie pour couvrir des services déjà pris en compte dans le PNB existant et en partie pour couvrir des services qui ne sont pas actuellement pris en compte dans le PNB. Cette tâche impossible ne mènerait à aucune augmentation de richesse parce que nous remplacerions seulement des services existants, et cela ignore le fait que beaucoup de services d'écosystème sont littéralement irremplaçables.

Si l'on payait réellement les services d'écosystème au niveau de la valeur de leur contribution à l'économie mondiale, le système de prix mondial serait très différent de ce qi'l est aujourd'hui. Le prix des biens et des services utilisant directement ou indirectement des services d'écosystème serait beaucoup plus grand. La structure des rémunérations (salaires, taux d'intérêt et profits) changerait radicalement. Le PNB mondial serait très différent à la fois en volume et en composition s'il incorporait de façon adéquate la valeur des services d'écosystème. Une utilisation pratique des estimations que nous avons développées est d'aider à modifier les systèmes de comptabilité nationale pour mieux refléter la valeur des services d'écosystème et du capital naturel. Des tentatives initiales pour le faire donnent une image très différente de notre niveau actuel de bien-être économique que le PNB conventionnel, certaines indiquant un tassement de la richesse depuis environ 1970 alors que le PNB a continué à croître31-33. Une deuxième utilisation importante de ces estimations est l'évaluation de projet, où les services d'écosystème perdus doivent être balancés avec les bénéfices d'un project particulier8. Comme les services d'écosystème sont en grande partie à l'extérieur du marché et incertains, ils sont trop souvent ignorés ou sous-évalués, menant à l'erreur de construire des projets dont les coûts sociaux dépassent largement les bénéfices.

Au fur et à mesure que le capital naturel et les services d'écosystème sont soumis à plus de contraintes et deviennent 'plus rares' dans l'avenir, nous ne pouvons que nous attendre à ce que leur valeur augmente. Si des seuils irréversibles significatifs sont dépassés pour des services d'écosystème irremplaçables, leur valeur peut rapidement devenir infinie. Étant donné les incertitudes énormes impliquées, il se peut que nous n'ayons jamais une estimation très précise de la valeur des services d'écosystème. Quoi qu'il en soit, même l'évaluation initiale grossière que nous avons pu assembler est un point de départ utile (nous soulignons de nouveau que ce n'est qu'un point de départ). Elle démontre le besoin d'importantes recherches complémentaires et elle indique aussi les secteurs particuliers qui ont le plus besoin d'études complémentaires. Elle met aussi en évidence l'importance relative des services d'écosystème et l'impact potentiel sur notre bien-être de continuer à les gaspiller.


Reçu le 23 janvier : accepté le 2 avril 1997.

Bibliographie

Remerciements. S. Carpenter a contribué par ses encouragements au projet. M. Grasso a assuré l'identification initiale et la collection des sources de la littérature. Nous remercions S. Carpenter, G. Daily, H. Daly, A. M. Freeman, N. Myers, C. Perrings, D. Pimentel, S. Pimm et S. Postel pour leurs utiles commentaires des premières versions de l'article. Ce projet a été subventionné par le Centre National pour l'Analyse et la Synthèse Écologique (NCEAS), un Centre de l'Université de Californie à Santa Barbara financé par le NSF. Les auteurs se sont réunis pendant la semaine du 17-21 juin 1996 pour faire les parties principales des activités de synthèse. L'idée de l'étude a émergé lors d'une réunion des Pew Scholars dans le New Hampshire en octobre 1995.

La correspondance et les demandes de matériels devraient être adressés à R.C. (courrier électronique : costza@cbl.cees.edu).

L'Information Supplémentaire est sur www.nature.com. Des copies papier sont disponibles auprès de Marie Sheehan au bureau éditorial de Londres de Nature.