traduit à partir de green-anarchy.wikidot.com/whose-unabomber) par Michel Roudot

L'UNABOMBER DE QUI ?

Par les Anarchistes Autonomes Anonymes Automne 1995 (avant l'arrestation de Kaczynski)

Des technogogues et technopathes nous en avons eu depuis quelque temps. Le pionnier de l'Intelligence Artificielle Marvin Minsky, par exemple, était bien connu au début des années 1980 pour sa description du cerveau humain comme "un ordinateur de 3 livres fait de viande." Il est intervenu dans l'édition de décembre 1983 de Psychology Today, s'attirant la lettre suivante :

Marvin Minsky : Avec le traitement complètement non critique - non, l'amour grisant - de la haute technologie, jusqu'à des excrétions telles que les "émotions" de la machine, que vous développez et promouvez, Psychology Today a au moins rendu publiquement clair ce qui est visé pour la vie sociale. Votre travail de déshumanisation est une contribution majeure au mouvement accéléré de la haute technologie vers un paysage toujours plus artificiel, dés-individualisé, vide. Je crois fermement que je ne suis pas seul à penser qu'une vermine comme vous sera un jour considérée parmi les pires criminels que ce siècle a produits.
(Signé) Avec mon Dégoût, John Zerzan

Une douzaine d'années plus tard le nombre de ceux qui sont activement engagés dans la désolation de l'âme et le meurtre de la nature a probablement augmenté; mais le soutien au cadre global de ce genre d'activité s'est sans aucun doute érodé.

Prenez l'Unabomber (il(s)/elle(s)) avec sa critique, en actes comme en mots, de notre existence technique triste, perverse et de plus en plus frustrée. Unabomber appelle à un retour à "la nature sauvage" via "la destruction complète et permanente de la société industrielle moderne dans chaque partie du monde," et le remplacement de cette société impersonnelle, sans liberté et aliénée par celle de petits groupements sociaux aux relations face à face. Il a tué trois personnes et en a blessé 23 au service de cette vision profondément radicale.

Il y a deux objections à peu près évidentes à cette théorie et cette pratique. D'une part, un retour aux modes de vie autonomes non domestiqués ne serait pas assuré par la seule suppression de l'industrialisme. Cette suppression conserverait toujours la domination de la nature, l'assujettissement des femmes, la guerre, la religion, l'état et la division du travail, pour citer quelques pathologies sociales de base. C'est la civilisation elle-même qui doit être détruite pour aller où Unabomber veut aller. Autrement dit, le mauvais virage pour l'humanité a été la Révolution Agricole, beaucoup plus fondamentalement que la Révolution Industrielle.

En termes de pratique, poster des engins explosifs destinés aux agents qui conçoivent la catastrophe actuelle est trop aléatoire. Des enfants, des postiers et d'autres auraient facilement pu être tués. Même si on admettait la légitimité de s'attaquer au spectacle d'horreur de la haute technologie en terrorisant ses indispensables architectes, les dommages collatéraux ne sont pas justifiables.

En même temps, Unabomber opère dans un contexte de profonde misère psychique et de perte de foi dans toutes les institutions du système. Combien de cinéphiles, pour être plus précis, ont été en désaccord avec Terminator 2 et son égalisation de la science et la technique avec la mort et la destruction ? Dans "A Rage Against Science" (San Francisco Examiner, 4/30/95) Keay Davidson observe que "la haine avérée [d'Unabomber] pour la science et les orientations techniques reflète la désillusion populaire croissante envers la science."

Un exemple remarquable de la résonance que reçoit sa critique étendue du monde moderne est "The Evolution of Despair", de Robert Wright, l'article principal du TIME du 28 août. Ce long article discute l'acte d'accusation d'Unabomber sobrement et avec bienveillance afin de sonder "la source de notre sensation pénétrante de mécontentement."

Au même moment, ce n'est pas étonnant, d'autres commentateurs ont cherché à réduire au minimum l'impact possible de telles idées. "Le Manifeste d'Unabomber N'est Pas Particulièrement Unique" est le résumé dédaigneux que John Schwartz a produit pour le Washington Post du 20 août. Schwartz a trouvé des professeurs qui certifieraient de façon hautaine l'absence d'originalité de l'interrogation fondamentale de la société, comme si on entendait ce genre de choses dans les salles de classe. Ellul, Juenger et les autres qui ont une vision négative de la technique sont loin d'être des vieilleries; ils sont inconnus, ils ne font pas partie du discours accepté, respectable. La lâcheté et la malhonnêteté typique des professeurs et des journalistes auraient difficilement pu être plus clairement représentées.

Aussi facilement prévisible a été l'aversion pour les idées du type Unabomber de la part de la gauche libérale. "Unabummer" (NDT : bummer = mauvais trip) a été la dénonciation presque hystérique d'Alexandre Cockburn dans The Nation, 28 août/4 septembre. Ce pseudo-critique du capitalisme américain divague sur "la dinguerie politique homicide," d'Unabomber, le fruit d'une tradition Anarchiste Américaine "irrationnelle". Cockburn dit qu'Unabomber représente un "romantisme pourri de l'individu et de la nature," que cette nature est disparue à jamais et que nous ferions mieux d'accepter son extinction. En réponse à cet effort pour vilifier et marginaliser tant Unabomber que l'anarchisme, Bob Black souligne (lettre à l'éditeur non publiée) la résurgence mondiale de l'anarchisme et trouve qu'Unabomber exprime "la pensée prédominante et la meilleure dans l'anarchisme Nord-Américain contemporain, qui a en général dépassé le travailleurisme et le productivisme qu'il a trop souvent partagés avec le Marxisme."

Au printemps 95 Judy Bari, porte-parole de Earth First!, a étiqueté Unabomber comme "un sociopathe," et poursuivi en déclarant, de façon absolue mais erronée, qu' "il n'y a personne dans le mouvement écologiste radical qui appelle à la violence." Ce n'est pas ici la place adaptée pour discuter de la politique de l'écologisme radical, mais la pontification de Bari ressemble à la voix des nombreux anarcho-libéraux et anarcho-pacifistes qui ne veulent aller pas plus loin dans la défense de la nature sauvage qu'une résistance passive fatiguée et inefficace et brandissent des slogans aussi timides et compromis que "pas de déboisement sans protestation."

L'édition de l'été 95 de Slingshot, le tabloïd des militants politiquement corrects de Berkeley, contenait un bref éditorial dénigrant Unabomber pour avoir créé "un danger réel de répression [du milieu radical] par le gouvernement". Cette crainte qui place le blâme sur Unabomber néglige le simple fait que toute attaque réelle contre la Mégamachine invitera des réponses de nos ennemis. Le spectre de la répression est le plus efficacement banni en ne faisant rien.

Pour leur part, les "anarchistes" de Love and Rage (août/septembre) ont aussi joint le choeur anti-Unabomber de gauche. "Is the Unabomber an Anarchist?", de Wayne Price, concède, avec Bob Black, que "la plupart des anarchistes d'aujourd'hui ne considère pas le développement actuel de la technique industrielle comme 'un progrès' ou même comme 'neutre,' comme le font les Marxistes et les libéraux." Mais après avoir accordé avec réserve ce service à l'ascendance des idées de type Unabomber, Price décrie de façon virulente Unabomber comme "un meurtrier traînant de nobles idées dans la boue" et lui refuse même le soutien politique et légal qu'il accorderait à des autoritaires de gauche visés par l'état. Love and Rage est défini par une idéologie d'organisation-des-masses lourdement manipulatrice; les approches plus honnêtes et plus radicales sont soit ignorées soit condamnées par ces politiciens.

Mais cette mini-revue sélective de l'opposition à Unabomber n'épuise en aucun cas la gamme des réponses. Il y a d'autres perspectives, qui ont principalement, pour des raisons évidentes, été exprimées seulement à titre privé. Certains d'entre nous, d'une part, ont trouvé une lueur d'espoir dans l'apparition publique, enfin, d'un défi aux principes de base d'un paysage dépravé. En distinction du sentiment répandu que tout ce qui est à l'extérieur du moi est au-delà de notre contrôle, le monopole du mensonge a été brisé. On pourrait dire que l'impact (médiatique) d'Unabomber est ici aujourd'hui, seulement pour être oublié demain. Mais au moins quelques-uns auront été capables de comprendre et se souvenir. L'ironie, bien sûr, est que des bombes mortelles ont été nécessaires pour qu'une alternative à la destruction planétaire et individuelle ait eu le droit d'être entendue.

Le concept de justice ne devrait pas être négligé dans la considération du phénomène Unabomber. En fait, à part ses cibles, quand les nombreux petits Eichmann* qui préparent le Meilleur Des Mondes ont ils jamais été appelés à répondre de leurs actes ? Où y a-t-il quelque responsabilité personnelle élémentaire que ce soit quand les planificateurs de notre marche quotidienne et mondiale vers la mort agissent avec une complète impunité ?

L'ordre au pouvoir récompense ces destructeurs et essaye de polir leur image. Le "Unabomber et David Gelernter" du New-York Times Magazine du 21 mai humanise le second, blessé par une bombe d'Unabomber à Yale, comme un aimable visionnaire de l'informatique préparant une "Renaissance de l'esprit humain." D'une source qui n'est autre que l'article lui-même, cependant, il est clair que Gelernter participe à introduire une dystopie autoritaire basée sur toutes les dernières perspectives hi-tech, comme le génie génétique.

Est-il contraire à la morale d'essayer d'arrêter ceux dont les contributions apportent une agression sans précédent contre la vie ? Ou est-il contraire à la morale de simplement accepter notre rôles passifs dans l'esprit actuel de cynisme et de j'en-sais-rien-isme post-modernes ? Comme un ami de Californie l'a exprimé récemment, quand la justice est contre la loi, seuls les hors-la-loi peuvent rendre la justice.

Le manuscrit longuet d'Unabomber ne sera pas discuté ici; ses forces et ses faiblesses méritent un examen minutieux séparé. Ces remarques éclairent principalement quelques uns des divers commentaires, surtout négatifs, plutôt que directement leur objet. C'est souvent que l'on peut le plus aisément apprendre sur la société en observant ses réactions, d'un bout à l'autre du spectre, envers ceux qui la défient.

"Eh bien, je crois en FC/Unabomber - c'est dans tout le pays ... ses idées sont, comme les situationistes disent, 'dans la tête de chacun'; vous n'avez qu'à écouter votre propre colère," de quelqu'un du Midwest qui est au parfum. Ou comme Anne Eisenberg, de l'Université Polytechnique à Brooklyn, l'admet, "Grattez la surface de la plupart des gens et vous trouverez un Luddite."

Et du Boulder Weekly, l'article du 6 juillet 95 de Robert Perkinson conclut avec sagesse : "Au milieu de la folie accablante de la croissance économique déchaînée et de la désintégration post-moderne, une telle nostalgie, ou même une telle colère, est elle vraiment folle ? Pour beaucoup, particulièrement ceux qui grattent dans des emplois insatisfaisants et qui scrutent avec nostalgie vers des étoiles obscurcies par les réverbères éblouissants, la réponse est probablement non. Et pour eux, Unabomber n'est probablement pas un démon psychopathe. Ils se peut qu'ils souhaitent à FC la meilleure des chances."

John Zerzan Autonomous Anarchists Anonymous PO Box 11331 Eugene, Oregon 97440


* NDT : C'est la première utilisation connue de l'expression. Elle a aussi été utilisée par Ward Churchill le 12 septembre 2001, lendemain de l'attaque contre le World Trade Center, pour désigner les occupants des tours, et plus généralement la population américaine.

Rappelons que Eichmann est ce lieutenant-colonel SS chargé de l'organisation du transport des juifs pendant la deuxième guerre mondiale. Selon les comptes rendus de son procès, Eichmann n'était pas particulièrement antisémite et il considérait la Solution Finale comme une erreur technique et politique. Il a néanmoins accompli ce travail avec une grande conscience professionnelle, dans le strict respect de la loi. Sa seule motivation était l'obtention d'une grade plus élevé, d'un meilleur statut social.